Le lion, en bon roi, voulut traiter sa cour.
Il n’étoit pas comme ces rois de l’Inde,
Qu’on ne voit point, qui craignent le grand jour,
Et dont la majesté sur la terreur se guinde :
Assuré de la crainte, il vouloit de l’amour.
On s’assemble à son antre, où la table est servie,
Ses cuisiniers avoient mis là leur art ;
Chevres, bonne volaille, et moutons gras à lard ;
Bref, du côté des mets, odeur qui fait envie,
Grand appetit de l’autre part.
Sire lion prend donc sa place ;
Princes tigres après ; puis milords sangliers,
Et les ours à l’informe masse ;
Un cerf et quelques loups se placent les derniers :
Bien entendu que de chacune espèce
Les dames se mêlent entr’eux ;
Car pour les ris et pour les jeux,
Que servent bonne chère et bon vin sans maitresse ?
Je dis bon vin, puisqu’il n’y manquoit pas.
Le singe les servoit, échanson du repas
Ce fut lui qui les mit en joie,
Comme Vulcain y mit jadis les dieux.
À son maintien boufon, bonne humeur se déploye ;
Chacun de rire à qui mieux mieux.
Après l’aimable raillerie,
De libertés en libertés,
On poussa la plaisanterie
À d’offençantes vérités.
Comme au plus foible (c’est le stile)
Tous s’adressent au cerf. ô le compère agile !
Disoit-on. Quel héros, s’il ne craignoit le cor !
Il a les pieds légers d’Achille,
Et sçait fuir comme un autre hector.
Tout beau, reprit le cerf chaud de vin et de bile ;
Serois-je ici, messieurs, si je n’avois du cœur ?
Je l’avouerai pourtant, le bruit du cor me blesse :
Mais, comme vous sçavez, chacun à sa foiblesse ;
Demandez même au roi ; la flâme lui fait peur.
Le lion à ces mots demeure comme un terme ;
Et réprimant son couroux cette fois,
Il ouvre seulement la griffe, et la referme :
Clémence est le don des grands rois.
Pour un moment la joye interrompuë
Revient bien-tôt ; on boit sur nouveaux frais.
Dès que la crainte est disparuë,
Voilà tout de nouveau les satyriques traits.
Entre la poire et le fromage,
Le cerf crut avoir bien trouvé
De dire à l’ours : mon dieu le joli personnage !
Qu’il seroit beau ! Que c’est dommage
Qu’on ne l’ait pas tout à fait achevé !
L’ours n’entend guère raillerie ;
Sur le railleur il se jette en furie,
Et vous l’étrangle bel et bien.
D’imiter le lion l’ours n’eût pas le courage :
Le cerf par son danger ne devint pas plus sage ;
Les sots ne profitent de rien.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Le Festin du Lion.