Le Gondolier et le Sénateur
Un gros gondolier de Venise
Voituroit dans sa barque un grave sénateur,
Le saluoit tout bas, et d’une voix soumise
Répondoit, bravo , Monseigneur,
Même quand Monseigneur disoit une sottise.
Après plus d’une course, ils vont dans une église
Entendre le salut. Le souple gondolier
Devant Monseigneur passe vîte,
S’en va l’attendre au bénitier,
Lui présente à genoux humblement l’eau-bénite ;
Puis se relève et fait sa prière, debout.
On entend le salut, on l’entend jusqu’au bout;
Puis on part, on s’embarque, à l’hôtel on arrive ;
Révérences encor, révérences toujours :
” Monseigneur veut-il qu’on le suive ?
” Qu’on lui donne le bras pour traverser les cours? —
” Prend ton argent et pars. —Le bon seigneur ! » — Écoute :
” Je te trouve poli ; mais, garçon, je me doute
” Que tu n’es pas beaucoup dévot.
” Tu me saluois jusqu’à terre,
” Et devant le Dieu du tonnerre
” Tu restois tout debout. Sais-tu bien, maître sot,
” Que je lui dois moi-même obéissance, hommage? –
” Sais – tu qu’un sénateur de lui n’est que L’image—
” Oui, Seigneur, je pourrois le saluer tout bas,
Mais je sais que de lui l’on ne se moque pas “.
“Le Gondolier et le Sénateur”