Fable imitée d’Esope
Sous des tilleuls plantés à deux pas de la Seine,
Un jeune homme, bien mis, se livrait au repos,
Lorsqu’un voleur, et robuste et dispos ,
L’aperçoit par hasard et se dit : « Bonne aubaine !
« On porte rarement un habit aussi fin,
« Sans avoir dans sa bourse une assez ronde somme. »
Lorsqu’il parlait ainsi, le jeune citadin
Se réveille en disant : « Que j’ai fait un bon somme! .
Mais il voit le voleur, et, son intention
Paraissant clairement peinte sur sa figure ,
Notre jeune homme en tire un fort mauvais augure.
Il feint alors beaucoup d’affliction.
« Pourquoi, dit le voleur, pleurez-vous de la sorte?
« Quand votre mère aujourd’hui serait morte,
« Vous n’en sauriez montrer un deuil beaucoup plus fort. »
« — Oh ! Monsieur, Dieu merci, ma mère vit encor,
Répond-il, affectant une douleur plus grande ;
« Mais je crains fort sa réprimande.
« Elle m’avait donné trois belles pièces d’or,
« Me recommandant bien d’en faire bon usage.
« C’était, je crois, tout son trésor…
« Tout à l’heure , en jouant sur les bords du rivage,
« J’ai vu, Dieu, quel malheur ! J’ai vu…, j’ai vu soudain
« Ce fruit de son travail s’échapper de ma main ,
« Rouler et s’engloutir à jamais dans ce fleuve .. »
Le jeune homme, à ces mots , feignit tant de douleur,
Que son mensonge adroit fut pris par le voleur
Pour la vérité môme, et tout-à-coup, pour preuve
Il s’élance habillé dans le gouffre profond.
Tandis qu’il plonge et cherche au fond
Les objets de sa convoitise,
En un clin d’œil, l’autre gagne les champs.
Pour échapper aux projet des méchants,
Petite ruse est bien permise.
“Le jeune Homme et le Voleur”