Quel est l’homme ici-bas qui peut dire : Fontaine,
Je ne boirai point de ton eau ?
Ce langage n’est point nouveau :
Le spirituel La Fontaine
Nous le prouve dans ses écrits :
Témoins Le Lièvre et la Perdrix.
Cet homme inimitable
Fait voir, dans cette fable,
« Qu’il ne se faut jamais moquer des malheureux ;
Car qui peut s’assurer d’être toujours heureux. »
Permettez donc, lecteurs, que mon infime muse
Vienne, dans ses-naïfs écrits,
Glaner quelques grêles épis,
Et si de plagiat quelqu’un de vous m’accuse,
Peut-être que quelqu’un aussi
M’approuvera d’agir ainsi,
Et qu’en juge indulgent ne donne pour excuse,
Que certain devancier m’autorise en ceci :
Qu’en ses œuvres Boileau tient le même langage ;
Que La Fontaine même en parle en son ouvrage,
Bien que certains censeurs soient, sur ce point, divers.
La rime et la raison s’accordant en mes vers,
Alors, sans m’arrêter à ces choses futiles
Ni lasser le lecteur de propos inutiles,
Je reprends mon sujet, je saisis mon pinceau,
Dès lors, cloué sur mon bureau,
Je ne puis, à tout prix, abandonner la table
Que je n’aie achevé cette naïve fable :
Un jeune villageois, rempli de vanité,
Faisant surtout le dégoûté,
Ne trouvait point dans son village
Une fille assez riche, assez belle, assez sage,
Qui fût digne de lui, digne de son amour.
Qui ? moi ? dit-il un certain jour,
Épouser une campagnarde ?
Que d’un tel malheur Dieu me garde !
Non, non, après mûr examen,
Je ne puis faire un tel hymen.
Plutôt vivre célibataire
Que de me donner pour beau-père
Un simple vigneron, un grossier laboureur.
Pour moi, de tels pensées sont de vrais crève-cœur.
Ne soyez pas si difficile,
Lui répondit certain vieillard :
En fait d’hymen, le plus habile
Agit en vrai Colin-Maillard.
Avec une simple bergère,
Souvent la vie est moins amère
Qu’avec une riche rentière.
Ce jeune fanfaron,
Ayant un certain âge,
Se vit forcé, dit-on,
De changer de langage,
(Comme le temps rend sage !)
Et fut tout aise et tout heureux,
Lui qui fit tant le dédaigneux,
De rencontrer enfin dans une humble chaumière,
Non point une riche rentière,
Mais une simple chambrière.
“Le jeune Homme et le Vieillard”