Oui, de la pâte dont nous sommes,
Nous avons tous nos défauts même grands :
Qu’on me donne les plus grands hommes ;
Par quelque endroit, ce sont de vrais enfans.
On voit en même tête et foiblesse et courage ;
Petitesse et force d’esprit :
Plein de haut et de bas, ou le fou tient au sage.
De vice et de vertu l’homme est un alliage ;
Et que pour tous ceci soit dit ;
Ma fable en est un témoignage.
Il étoit un héros, un Pompée, un César,
Ou si vous l’aimez mieux, un nouvel Alexandre,
Qui sembloit enchaîner la victoire à son char ;
Pour qui c’étoit tout un que vaincre et
Qu’entreprendre ;
En un mot qui ne craignoit rien,
Hors certain jour de la semaine.
Quel jour ? Je ne le sçais pas bien ;
Mais qu’importe ? Ce n’est la peine
De le chercher ; l’un ou l’autre est égal ;
Il suffit qu’aux guerriers, il croit ce jour fatal.
Ne pensez pas qu’alors il tentât la victoire ;
Il étoit sûr d’être battu,
Le pauvre homme prenoit pour garand de sa gloire
L’étoile et non pas sa vertu,
Ce jour là cependant trouvant sur son passage,
Les ennemis mal postés, peu nombreux ;
Profitez de votre avantage,
Dit un ami, fondez sur eux,
Vous les tenez : êtes-vous sage !
Repondit le héros, c’est un jour malheureux !
Nous les battrons demain. Quoi demain ! Quand la force
Par vingt secours reçus sera de leur côté !
Tant mieux, à ma valeur le danger sert d’amorce ;
Nous les battrons demain ; le sort en est jetté.
L’ami s’obstine et lui fait honte,
Du délai superstitieux ;
Quoi donc, ce sont les jours qui sont victorieux,
Et non pas vous ! Belle gloire à ce compte ?
J’en rabats bien : ainsi piqué d’honneur,
Pour un moment le héros se surmonte,
Attaque l’ennemi, qui payant de valeur,
Fait renaître bien-tôt en celui qui l’affronte,
Ce vain vain fantôme de malheur,
Tant de résistance l’étonne.
Falloit-il combattre aujourd’hui,
Dit-il, il se confond et croit voir en personne
Le destin irrité décidant contre lui.
Il décide en effet, son trouble,
Qui d’instant en instant redouble,
Des ennemis sert si bien les exploits,
Qu’il est enfin bâtu pour la premiere fois.
Ah ! Dit-il, falloit-il t’en croire ?
Funeste ami, ce jour me coutera ma gloire,
Je le sçavois trop bien qu’il étoit malheureux.
S’il l’étoit, dit l’ami, ce camp si peu nombreux
Auroit-il gagné la victoire ?
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Le Jour Malheureux.