Jean Baptiste François Ernest Chatelain
Un jeune homme était amoureux.
Et n’étant pas aimé languissait malheureux.
Feux méprisés, dit-on, doublent de violence.
Notre amant dédaigné sentait donc le besoin
De se déchaîner sans témoin
Contre l’injuste indifférence
De l’objet ravissant qui lui tenait au cœur.
Un jour, que faisant l’orateur,
Il s’adressait aux bois, aux échos, aux prairies,
Aux vents, aux collines fleuries,
En pressant sur sa bouche un sachet de cheveux,
Qu’une soubrette avec adresse
Avait su dérober à sa jeune maîtresse
Pour le vendre au pauvre amoureux,
Certain quidam vêtu de lourde étoffe,
Afin de mieux trancher du philosophe,
Allant vers lui d’un air d’autorité :
” Mon fils,” dit-il, ” la fragile nature
Vous pousse vers la volupté ;
Des sens la grossière imposture
Doit-elle vous cacher que la fleur de beauté
Qui vous séduit, dure à peine une aurore !
Et pourquoi, pour si peu, perdre votre printemps ?
Si vous saviez…”—” Je sais… que je l’adore,
Et mon amour triomphera du temps.”
” Mon fils, ah ! croyez moi, le feu qui vous dévore
Est l’ennemi de la raison.
Quand pour vous viendra la saison
De la triste décrépitude,
En songeant au néant des choses d’ici bas,
Soudain, en votre esprit, naîtra la certitude
Que le bonheur consiste à ne soupirer pas.”
” Mais, vous qui tenez ce langage,
Dites, n’aimâtes-vous jamais ? ”
” J’aimai sans doute, et je me plais
A me voir délivré d’un semblable servage.”
” Quelque Socrate du vieil âge
Sur ce travers vous fit-il la leçon ? ”
” Je trouvai des censeurs.”—” Et vous les crûtes ? ”
” Non ! ”
” Et cependant vous voilà sage ! ”
” Mais j’étais fou d’abord.”—” Je le suis à mon tour :
Si c’est un travers de jeunesse
Les ans me guériront ; en attendant, bonjour !
Je garde pour moi mon amour,
Gardez pour vous votre sagesse ! ”
“Le Jouvenceau et le Philosophe”