Commentaires: Le Juge arbitre, l’Hospitalier et le Solitaire de MNS Guillon – 1803.
Si l’esprit humain est borné, et si un écrivain semble n’être en général destiné par la nature qu’à réussir dans un seul genre, combien est-il surprenant de voir un même génie exceller dans tous , passer, avec lapins heureuse flexibilité, du grave au doux, du plaisant au sévère , tour-à-tour enchanter les esprits les plus délicats par les tableaux naïfs de la vie champêtre , et les jeux des animaux , et intéresser les lecteurs les plus frivoles par les leçons les plus sublimes de la philosophie et de la politique? En effet, par quel rapport cet Apologue ressemble-t-il aux précédents, sinon par la supériorité du talent qui en a fait autant de chefs-d’œuvre ? Par – tout une morale saine, assaisonnée de traits piquants , par-tout la connaissance des mœurs, une diction pleine de noblesse, unie à la plus étonnante simplicité; mais tout cela avec des teintes diverses. C’est un riche et immense parterre, où chaque fleur est belle, mais à sa manière de l’être.
(1) Apprendre à se connaître, etc. Ces vers, commentaire éloquent de l’inscription du Temple de Delphes, sont de ceux qu’une admiration générale a rendus fameux.
(2) Troublez l’eau ; vous y voyez-vous ? etc. M. de Voltaire a dit dans son poème de la Loi naturelle :
De nos désirs fongueux la tempête fatale
Laisse au fond de nos cœurs la règle et la morale ;
C’est une source pure ; en vain dans ses canaux
Les vents contagieux en ont troublé les eaux :
En vain sur sa surface une fange étrangère
Apporte en bouillonnant un limon qui l’altère :
L’homme le plus injuste et le moins policé
S’y contemple aisément quand l’orage est passé.
(3) Il faut des Médecins, etc. On est fâché qu’un trait de satyre se mêle à un sujet aussi grave,
(4) Magistrats , Princes, etc. Cette fable est un des derniers fruits de la Muse fabuliste à qui nous devons tant d’ouvrages immortels. C’est par elle que La Fontaine a voulu terminer sou recueil. Cette leçon , dit-il, sera la fin de ces ouvrages. C’est en quelque-sorte le chant du Cygne. Voyez si l’homme qui l’a faite avoit baissé. Ces vers,
O vous, dont le public emporte tous les soins ,
Magistrats, Princes et Ministres !
Vous, que doivent troubler mille accidents sinistres ,
Que le malheur abat, que le bonheur corrompt,
Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne.
Ces admirables vers se ressentent-ils de la vieillesse de l’auteur ? l’antiquité a-t-elle rien de mieux pensé? les modernes rien de mieux écrit?
Champfort prétend que la seconde partie des fables vaut moins que la première. A mesure que le poète approche du terme de sa carrière, le Critique veut que le génie du Fabuliste baisse presque à chaque page. Il revient plusieurs fois, sur cette observation.
— Si La Fontaine baisse, c’est comme le soleil à son couchant, en éclairant encore l’horizon de mille feux. Ce que Voltaire avait fait sur Corneille , Chamfort l’a fait sur La Fontaine. De tels panégyristes ne sont que des accusateurs déguisés.
(5) A ces pensers , vieille expression que l’on n’a point remplacée par le mot pensée. Boileau s’en est servi.
Vainement offusqué de ses pensers épais.
(Ep. XI. v. 87.) . La Fontaine l’emploie, fabl. 1. du Liv. III.
6) Par où saurai-je mieux finir? Non, l’auteur ne pouvait finir plus dignement cet admirable recueil, dont les compositions toujours plus belles, à mesure qu’on les étudie , respirent cette vénusté qui n’a point de nom dans aucune langue , cette molle langueur, cette grâce plus belle encore que la beauté , qui ne fut pas toujours accordée même au génie.
Et nous aussi, nous terminerons à cette partie des ouvrages de La Fontaine nos observations sur ce poète. Les pièces que l’on met ordinairement à la suite de celles-ci ne sont pas des apologues; ce sont des poèmes, ou tout au plus des fables milésiennes, très-étrangères à l’apologue par leur étendue, comme par le caractère du sujet et du style.
Homme immortel ! je dépose cet ouvrage aux pieds de ta statue. Il ne peut rien ajouter à ta gloire ; mais c’était depuis si longtemps pour mon cœur un besoin de te l’offrir. Sous tes auspices, que pourrait avoir à redouter un écrivain qu’aucune espèce d’ambition n’anime, et qui trouvera une première récompense dans la volupté de t’avoir lu ?
fin du douzième et dernier livre.