Admirateurs zélés du simple La Fontaine,
Deux écrivains, dont je tairai le nom,
Pour l’imiter prenaient beaucoup de peine ;
Y réussissaient-ils ? Non , non.
J’ai tort, et j’en donne la preuve :
L’un cadençait des vers alignés au cordeau,
Et sa moralité très-sèche et jamais neuve,
Était bien loin d’offrir un sublime tableau.
L’autre peignait toujours d’après son âme :
Et pas à pas conduisant son lecteur,
N’aiguisait point la saillante épigramme,
Mais s’efforçait de le rendre meilleur.
« La fable, disait-il, est le sermon du sage.
» Le conte est amusant par sa légèreté,
» Mais l’apologue a ce noble avantage
« Qu’il mène à la vertu par sa moralité
» Et réforme l’homme à tout âge.
» La fable vers son but, dans son austérité,
» Se presse sans détour; pour instruire elle amuse ;
» Elle emprunte par fois le sel de la gaîté,
» Mais jamais elle n’en abuse.
» Il fallait décider irrévocablement
Lequel des deux rivaux méritait le suffrage
De la Raison : Voici quel fut son jugement,
Et c’est un jugement bien sage.
— Vos écrits à tous deux diffèrent par la fin,
Dit-elle, à mon avis vous vous rendrez sans doute;
Écoutez: un de vous s’est trompé de chemin;
De la gaîté qu’il reprenne la route ;
Et vous, à la vertu, guidez le genre humain.
“Le Jugement de la Raison ou les deux Fabulistes”