Nicolas François de Neufchâteau
Enfants de Cérès ont bien droit de se plaindre :
Pour eux, que d’ennemis, que de fléaux à craindre !
Ils sont sans cesse harcelés.
Un pauvre Laboureur ainsi voyait les grues
Soudain pour dévaster ses blés
Fondre en troupes du haut des nues,
Sans qu’il pût s’en douter. A ces brigands ailés
Il tendit un filet : la Cigogne y fut prise.
« Est-ce à moi que vous en voulez?
« Dit-elle au Laboureur, ai-je la couleur grise
« De vos ennemis signalés?
« Non, vous voyez mon noir plumage.
« D’insectes vous savez que je purge vos champs;
« J’ai même droit à votre hommage
« Par les mœurs, les nobles penchants,
« Et les procédés si touchants »
Dont mon nom peut lui seul vous rappeler l’image ;
« Vous feriez une grande erreur
« En confondant ici la Cigogne et les grues.
« — Ma foi! du même vol, répond le Laboureur,
« Ici toutes sont accourues.
« A qui fais-je la guerre? A des oiseaux voleurs :
« Je m’embarrasse peu quelles sont leurs couleurs.
« Avec eux, blanche ou non, je te vois réunie;
« Avec eux je puis te ranger,
« Sans te faire aucune avanie.
Des gens on peut fort bien juger
Par leur société . C’est le moindre danger
De la mauvaise compagnie.
“Le Laboureur et la Cigogne”