Un Lion décrépit, goutteux, n’en pouvant plus,
Voulait que l’on trouvât remède à la vieillesse :
Alléguer l’impossible aux Rois, c’est un abus.
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des Médecins ; il en est de tous arts :
Médecins au Lion viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites,
Le Renard se dispense, et se tient clos et coi.
Le Loup en fait sa cour, daube au coucher du Roi
Son camarade absent ; le Prince tout à l’heure
Veut qu’on aille enfumer Renard dans sa demeure,
Qu’on le fasse venir. Il vient, est présenté ;
Et, sachant que le Loup lui faisait cette affaire :
Je crains, Sire, dit-il, qu’un rapport peu sincère,
Ne m’ait à mépris imputé
D’avoir différé cet hommage ;
Mais j’étais en pèlerinage ;
Et m’acquittais d’un voeu fait pour votre santé.
Même j’ai vu dans mon voyage
Gens experts et savants ; leur ai dit la langueur
Dont votre Majesté craint à bon droit la suite.
Vous ne manquez que de chaleur :
Le long âge en vous l’a détruite :
D’un Loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante ;
Le secret sans doute en est beau
Pour la nature défaillante.
Messire Loup vous servira,
S’il vous plaît, de robe de chambre.
Le Roi goûte cet avis-là :
On écorche, on taille, on démembre
Messire Loup. Le Monarque en soupa,
Et de sa peau s’enveloppa ;
Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire :
Faites si vous pouvez votre cour sans vous nuire.
Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs ont leur tour d’une ou d’autre manière :
Vous êtes dans une carrière
Où l’on ne se pardonne rien.
Autres analyses:
- Le Lion, le Loup, et le Renard analysées par MNS Guillon
- Cette fable analysée par Louis Moland.
- Fable d’Esope : Du Lion, du Loup et du Renard.
Commentaires et analyses par Chamfort . 1796.
V. 5. . . . . Il en est de tous arts.
Je ne sais ce que cela veut dire. Veut-il dire. que , dans toutes les professions , il y a des gens qui se mêlent de médecine ? en ce cas , cela est mal exprimé. Ce n’est pas sa coutume.
V. 10. …. Daube , au coucher du roi,
Son camarade absent. …
On dit, sur ce trait, dans l’éloge de La Fontaine: Suis-je dans l’antre du lion ? suis-je à la cour ? On pourrait presque ajouter que. l’illusion se prolonge jusqu’à la fin de cette charmante fable.
Commentaires et observations diverses de MNS Guillon .1803.
(1) Un Lion décrépit, goutteux, n’en pouvant plus. L’harmonie est la langue naturelle de la poésie. Jamais La Fontaine ne manque de donner à son rythme la marche , et pour ainsi dire, l’attitude de la nature. Dans la fable du Vieillard et la Mort :
Enfin n’en pouvant plus d’efforts et de douleur.
(2) Alléguer l’impossible aux rois, c’est un abus. Abus n’est pas le mot. L’abus est dans le vice qu’on reprend, et non dans la censure arôme indiscrète qui reprend. Au reste, cette observation délicate prouve que La Fontaine avoit étudié la politique, et qu’il connoissoit à fond les hommes. Cette fable toute entière , surtout dans la morale qui la termine, en est un témoignage admirable.
(3) Manda des Médecins, il en est de tous arts. Parce qu’il n’est rien dans la nature qui n’ait ses maladies , ou ses vices, auxquels il faut apporter remède. Médecin, de mederi, remédier.
(4) Lui vient des donneurs de recettes. On. dira bien : il lui rient; l’article alors sert de nominatif. Autrement où y en a-t-il ? — Cet air négligé, dit Qicéron, a je ne sais quoi de gracieux, en ce qu’il nous montre un homme plus occupé des choses que des. paroles. (L’orateur, n. 23)
(5) Se tient clos et coi. Tranquille : autrefois on disoit quoi; de quietus , en repos. Nous Avons déjà vu ce mot, fréquent dans les anciens fabliaux : Si tous me volüez enquerre… Lire la suite…