Avec un loup, au bord d’une forêt,
Tranquillement un berger discourait.
Ce fait vous parait incroyable.
J’en doutais comme vous ; mais puisque Yriarte
Dans ses fables l’a raconté,
Je le tiens pour incontestable.
« Les hommes, dit le loup, sont bien sots, bien ingrats!
Dès que je me mets en campagne :
Partout où je porte mes pas,
De malédictions la foule m’accompagne.
Et pourtant, que de biens ne me doivent-il pas!
D’abord, ma peau que la nature
Garnit d’un poil long et soyeux,
Leur fournit pour l’hiver une chaude fourrure :
Puis, de mes ongles, pour les yeux,
On tire un excellent collyre :
Ma graisse les guérit de mille maux divers. »
« Cesse, dit le berger, cesse, animal pervers,
De vanter tes bienfaits. Quand tu ne peux plus nuire,
Après avoir longtemps égorgé nos troupeaux
Et porté la terreur au sein de nos hameaux,
Si tu rends quelque bon office,
C’est malgré toi. Que le ciel te maudisse
Et t’accable de mille maux !
Quand, comme toi, durant une longue existence,
À l’homme on n’a montré que haine et malveillance,
A coup sûr, on aurait grand tort
D’oser prétendre à la reconnaissance,
Pour quelque bien qu’on fait après sa mort. »
“Le Loup et le Berger”
- Théodore Lorin, 18.. – 18..