Un loup demi-lettré, plat valet des puissants,
Et dès lors, des petits un des odieux tyrans ;
Grand croqueur de moutons, et plus grand hypocrite,
Passait, dans les forêts, pour un loup de mérite :
Dès ce temps, il est vrai, l’on subissait la loi
Qui, chez les Quinze-Vingts*, veut qu’un borgne soit roi.
Le sire s’emportait à la moindre réplique
D’un discours obscurci par un terme technique ;
Il parlait à la fois, d’Achille et de Platon,
D’Henri Quatre et Noé, d’Hippocrate et Newton ;
Visitant, en un jour, chaque peuple à la ronde,
Il fallait, avec lui, faire le tour du monde.
L’assurance du drôle en imposait si bien,
Qu’il passait pour savant, malgré qu’il ne sût rien.
A la cour, on trouvait qu’il aimait à médire :
Mais comment empêcher qu’un loup morde et déchire ?
C’est en hochant la tête, et d’un air de mépris,
Qu’il parlait des autours qu’il n’avait pas compris.
Chez le lion, un jour, voulant faire l’aimable,
Prenant, à cet effet , son humeur agréable :
« Je viens de voir, dit-il, un pauvre tourtereau
» Roucoulant ses amours comme un vrai damoiseau ;
» Près de lui Philomèle, à la voix altérée,
» Racontait, en pleurant, les fureurs de Térée :
» C’est à mourir de rire. — Oh ! pour le coup, docteur,
» Lui dit Sa Majesté, vous êtes dans l’erreur,
» Respectons les amours des tendres tourterelles :
» Pourquoi ne puis-je, hélas ! encore aimer comme elles !
» Cependant, si mon cœur est glacé par les ans,
» De Philomèle, encor, j’aime les doux accents ;
» J’aime ses chants du soir, ses soupirs de l’aurore :
» Qui donc aurait la voix plus tendre et plus sonore ?
— « Moi ! » reprit l’orgueilleux. Il chanta, sur cela
Comme un loup peut chanter ; c’est dire qu’il hurla.
« Qu’on chasse ce faquin ! dit alors le monarque.
» Je verrais avec peine un pareil Aristarque*,
» Même en lui supposant l’esprit qu’il croit avoir :
» Les méchants n’ont jamais qu’un funeste savoir ! »
*Hospice
*De Samos, savant grec.
“Le Loup frondeur”