Le Loup, la Chèvre et le Chevreau, analysée par P. Louis Solvet – 1812.
- Le Loup, la Chèvre et le Chevreau.
Chamfort ne trouve dans cette Fable, et dans la suivante, rien que de médiocre, et c’est à quoi se bornent ses observations à leur sujet. La Fontaine paraît les avoir empruntées de deux de nos anciens fabulistes, aujourd’hui tout-à-fait ignorés. Pour donner au lecteur un échantillon de leur manière, et le mettre à la fois à portée d’apprécier la critique de Chamfort, nous avons jugé convenable d’extraire de leur recueil ces deux apologues. Voici d’abord celui qui répond à la, première de ces deux Fables :
Une chièvre alloit en pasture
Pour y prendre sa nourriture ;
Son chevreau dans le tect enferme.
Lui commandant de point en point
Qu’a personne l’huys n’ouvre point.
Et jusqu’à son retour fut ferme.
Le loup ayant ouï cela,
A la porte du tect alla ;
Feignant de la chièvre la voix :
Ouvrez, dit il, mon enfant doulx,
Je veux entrer avecques vous.
Car j’ai été assez au bois.
Le chevreau répond : non feray,
La porte ne vous ouvriray,
Car je voy bien, par un pertuys,
Que vous êtes un loup méchant ;
Allez frapper à un aultre huys.
Ainsi le chevreau se garda,
Et fict ce qu’on lui demanda.
Qui donc obéy t aux parents,
Tout bien et tout honneur luy vient,
Aucun malheur ne luy survient:
Tels exemples sont apparents.
(Gilles Corrozet, fable 24)
On ne saurait disconvenir que cet apologue n’ait beaucoup gagné entre les mains de La Fontaine. Avec quel art, par exemple, n’a-t-il pas su couvrir par une beauté d’harmonie imitative, l’espèce de pléonasme que renferment les deux premiers vers de sa Fable ! On s’aperçoit à peine de ce défaut, tandis que le début de Corrozet, avec ce même défaut, qui saute aux yeux, est le comble du ridicule. M. Boisard, dans la première de ses Fables, intitulée le Loup et l’Agneau, a eu la prétention de refaire celle de La Fontaine, et voudrait enchérir encore sur sa simplicité par une mignardise affectée. Mais son Robinet, son Robin gentil moutonnet, ne rappelle que le petit mouton paré de nœuds et de rubans d’une procession de campagne.
V. 38. Deux sûretés valent mieux qu’une ,
Et le trop en cela ne fut jamais perdu.
Mieux vaut pécher par trop de prévoyance
Que par trop de sécurité.
Cette imitation de Lebrun, dans une de ses Fables, est d’une tournure encore plus précise pour un précepte.