La Bique allant remplir sa traînante mamelle
Et paître l’herbe nouvelle,
Ferma sa porte au loquet,
Non sans dire à son Biquet :
Gardez-vous sur votre vie
D’ouvrir que l’on ne vous die,
Pour enseigne et mot du guet :
Foin du Loup et de sa race !
Comme elle disait ces mots,
Le Loup de fortune passe ;
Il les recueille à propos,
Et les garde en sa mémoire.
La Bique, comme on peut croire,
N’avait pas vu le glouton.
Dès qu’il la voit partie, il contrefait son ton,
Et d’une voix papelarde
Il demande qu’on ouvre, en disant Foin du Loup,
Et croyant entrer tout d’un coup.
Le Biquet soupçonneux par la fente regarde.
Montrez-moi patte blanche, ou je n’ouvrirai point,
S’écria-t-il d’abord. (Patte blanche est un point
Chez les Loups, comme on sait, rarement en usage.)
Celui-ci, fort surpris d’entendre ce langage,
Comme il était venu s’en retourna chez soi.
Où serait le Biquet s’il eût ajouté foi
Au mot du guet, que de fortune
Notre Loup avait entendu ?
Deux sûretés valent mieux qu’une,
Et le trop en cela ne fut jamais perdu.
Autres versions et analyses:
Analyses de Chamfort – 1796.
Ces deux fables (celle-ci et la suivante) me paraissent assez médiocres , et on se passerait fort bien du dicton picard.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
( le loup la chèvre et le chevreau)
(1) Bique, Biquet. La Chèvre et son Chevreau.
(2) La Bique allant remplir sa traînante mamelle. On peut comparer ce vers à ce que Virgile a de plus beau, pour l’harmonie imitative. Du reste, je ne vois pas de remarques particulières à faire sur cette fable. Elle n’a point de ces beautés d’un ordre supérieur que l’on cite, que l’on retient ; mais on y sent d’un bout à l’autre une aisance de style , une justesse d’expressions, une mollesse accompagnée d’une gaîté douce, ce molle atque fa cetum d’Horace, que l’on ne traduira jamais, parce que la grâce ne peut ni se copier, ni même se définir.
(3) De fortune. Par hasard. « Arrivant de fortune près l’église de Saint Léonard , etc. » (Hist. Maccaran. L. III. p. 77. )
(4) D’une voix papelarde. Douce et mignarde. « Les abus d’un tas de papelards et faulx prophêtes ». (Pantagr. L. II. ch. 29.) Papelus, papelards, papelats, tous ces mots-là ont une source commune , l’injuste prévention contre le siège de Rome et ses adhérents. Papelard n’est d’usage qu’en substantif.
Études sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812.
Le Loup, la Chèvre et le Chevreau.
Chamfort ne trouve dans cette Fable, et dans la suivante, rien que de médiocre, et c’est à quoi se bornent ses observations à leur sujet. La Fontaine paraît les avoir empruntées de deux de nos anciens fabulistes, aujourd’hui tout-à-fait ignorés. Pour donner au lecteur un échantillon de leur manière, et le mettre à la fois à portée d’apprécier la critique de Chamfort, nous avons jugé convenable d’extraire de leur recueil ces deux apologues. Voici d’abord celui qui répond à la, première de ces deux Fables :
Une chièvre alloit en pasture
Pour y prendre sa nourriture ;
Son chevreau dans le tect enferme.
Lui commandant de point en point
Qu’a personne l’huys n’ouvre point.
Et jusqu’à son retour fut ferme…Lire la suite