Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe
Un Loup disait que l’on l’avait volé :
Un Renard, son voisin, d’assez mauvaise vie,
Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.
Devant le Singe il fut plaidé,
Non point par Avocats, mais par chaque Partie.
Thémis n’avait point travaillé,
De mémoire de Singe, à fait plus embrouillé.
Le Magistrat suait en son lit de Justice.
Après qu’on eut bien contesté,
Répliqué, crié, tempêté,
Le Juge, instruit de leur malice,
Leur dit : “Je vous connais de longtemps, mes amis,
Et tous deux vous paierez l’amende ;
Car toi, Loup, tu te plains, quoiqu’on ne t’ait rien pris ;
Et toi, Renard, as pris ce que l’on te demande. ”
Le juge prétendait qu’à tort et à travers
On ne saurait manquer, condamnant un pervers.
Quelques personnes de bon sens ont cru que
l’impossibilité et la contradiction qui est dans le
Jugement de ce Singe était une chose à censurer ; mais je
ne m’en suis servi qu’après
Phédre ; et c’est en cela que consiste le bon mot, selon mon avis.

Commentaires de MNS Guillon – 1803.
( note de l’Auteur). Quelques personnes de bon sens ont cru que l’impossibilité et la contradiction qui est dans le jugement de ce Singe, étoit une chose à censurer ; mais je ne m’en suis servi qu’après Phèdre ; c’est en cela que consiste le Bon mot, selon mon avis.
(1) Un Renard, son voisin , d’assez mauvaise vie. Ce jugement , porté comme au hasard, prépare , par son indécision même, la sentence équivoque que l’on va voir.
(2) Après qu’on eut bien contesté, etc. Image fidelle et bien rendue de ce qui se passe au barreau. Il falloit ces vers pour justifier l’expression qui se lit un peu auparavant : Le Magistrat suoit, tant lui-même avoit besoin de se démener pour calmer ou suivre les parties. Nous observerons que ce qui suit : En son lit de justice, n’est pas exact. Le Magistrat siège sur des bancs ; le lit de justice est réservé à la majesté royale. (Le Loup plaidant contre le Renard ).
Études sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812
Le Loup plaidant contre le Renard, par devant le Singe
Phèdre, livre 1, fable 10
On rencontre dans l’histoire ancienne un trait curieux qui ressemble assez à cette Fable : c’est ce jugement célèbre de Philippe , père d’Alexandre, que deux mauvais sujets de son royaume s’avisèrent un jour de prendre pour arbitre de leur différent, et qui, après les avoir entendus, ordonna à l’un de quitter sur-le-champ la Macédoine,et à l’autre de courir après lui.
Henri-Etienne parle encore d’un juge de son temps qui n’avoit qu’une chanson en matière de procès criminel. Si l’accusé étoît vieux: « Pendez, pendez, disoit-t-il, il en a fait bien d’autres. s’il étoit jeune : « Pendez , pendez, disoit-il toujours, il en feroit bien d’autres. » Cela revient plus particulièrement à cette morale un peu équivoque qui termine l’a Fable de notre auteur :
Ce juge prétendoit qu’à tort et à travers .
On ne sauroit manquer condamnant un pervers.
Anecdote qui ressemble à cette fable:
Arbitre ingénieux
Deux jurisconsultes choisirent Diogène pour leur arbitre.
Il les condamna tous les deux : l’un parce qu’il avait effectivement volé ce dont on l’accusait, et l’autre parce qu’il se plaignait à tort, puisqu’il n’avait rien perdu qu’il n’eût volé lui-même à un autre. ( Themisiana )
* Histoire qui ressemble à la fable de La Fontaine , Le Loup plaidant avec le renard par devant le Singe.