Raymond de Belfeuil
Le Mensonge et la Vérité,
Un beau matin, se rencontrèrent ;
Or, tous les peuples en glosèrent.
Le Mensonge en riant dit à la Vérité :
« Ma toute belle,
Depuis longtemps,
Il existe entre nous quelques sots différends ;
Terminons la querelle.
Demain Plutus donne un grand bal ;
Venez-y, nous verrons qui plaira davantage,
Et tant pis pour celui qui s’en trouvera mal ! »
La Vérité jamais n’a manqué de courage ;
Elle promit d’aller au bal.
Chez Plutus, le Mensonge arrive de bonne heure.
Chamarré, scintillant,
Parfumé, souriant ;
Plutus lui donne la meilleure
Des places du salon.
Dans un bon fauteuil il s’allonge.
Quel est ce grand seigneur ? demande-t-on.
— C’est Monseigneur Mensonge.
— Ah! ah! vraiment, il est du meilleur ton. »
On l’entoure, on l’admire, il parle, on fait silence.
Avec quelle élégance
Il traite toute question !
Avec quelle grâce il manie
L’arme de la plaisanterie !
Il fait trois calembours et dit quatre bons mots ;
D’honneur et de philosophie,
Il parle à tout propos,
Séduit les gens d’esprit et fascine les sots ;
Il ne pérore plus qu’on l’applaudit, encore :
Bref, Monseigneur Mensonge est l’oracle du jour !
Voici qu’au sein du bal, rose comme l’aurore,
Belle, mais sans atour,
La Vérité se montre. On crie à l’impudence,
Au scandale ! Tremblante elle se nomme. Hélas !
On ne la connaît pas.
On la raille, on l’offense ;
Plutus enfin appelle ses laquais :
La pauvre Vérité fut jetée à la porte.
Le monde n’est-il pas bâti de telle sorte,
Que toujours au mensonge il trouve des attraits,
Qu’à la vérité nue il n’en trouve jamais ?
“Le Mensonge et la Vérité”
Raymond Belfeuil – Paris 1869.