On m’a conté qu’au temple de la Gloire
À son tour le Mérite un jour voulut entrer ;
Or, vous pouvez déjà vous figurer
Des envieux la méchanceté noire ;
Ce qu’il eut de périls, d’obstacles à braver.
Il ne sait point ramper ; ainsi vous pouvez croire
Qu’il était tard, lorsqu’il put arriver.
Mais vous pensez au moins qu’il dut trouver
Le temple ouvert, et la couronne prête ;
Qu’on l’accueillit, qu’on lui fit fête :
Vous vous trompez, le temple était fermé.
Le Mérite aux refus doit être accoutumé :
Il ne se plaignit point ; on sait qu’il est modeste.
Près de lui cependant un aveugle portier,
De temps en temps, sans se faire prier,
Ouvrait à mille fous qui marchaient d’un air leste :
Sans examen, il les faisait entrer.
Leur course était rapide, et leur chute était prompte ;
Arrivés pleins d’orgueil, ils sortaient pleins de honte,
Et pas un d’eux n’y pouvait demeurer.
Au Mérite, à la fin, le vieux portier s’adresse,
L’appelle par caprice, et, le tirant à part,
Lui dit : Votre froideur me surprend et me blesse.
Vous comptez sur vos droits aux yeux de la déesse ;
Vous m’avez méprisé ; mais vous entrerez tard,
Et je prétends faire un exemple,
Pour prouver que la clef du temple
Ne sort pas des mains du Hasard.
Je sais quelle est ton injuste puissance,
Dit le Mérite, et j’en connais l’excès.
Mars te laisse son glaive, et Thémis sa balance ;
Arbitre des revers, arbitre des succès,
Ici tout est soumis à ton pouvoir funeste ;
De ce temple, à ton gré, tu peux donner l’accès ;
Mais le Mérite seul y reste.
“Le Mérite et le Hasard”