A M. le Vte. Edouard de Kersabiec.
Au plus profond d’une haie,
Un merle savourait un de ces fruits vermeils
Que porte l’aubépine, appétissante baie.
Ambroisie et nectar des merles ses pareils.
Une Fauvette l’aborde, Et lui dit sans plus d’exorde :
» — Merle, mon ami, pourquoi,
» Aussitôt qu’un oiseau chante,
» Vous faites-vous une loi
» De siffler?… C’est avoir l’âme un peu trop méchante !
» Encore, je vous comprendrais,
» Et de bon cœur j’applaudirais,
» Si votre gosier satirique,
» N’attaquant que le geai, la pic ou le corbeau,
» Se proposait ce résultat si beau
» De délivrer nos bois de leur aigre musique.
» Sans peine même je m’explique
» Que vous tourniez souvent votre sifflet moqueur
» Contre moi, votre humble servante;
» Cela ne peut m’aller au cœur :
» En merveilleux accents ma voix n’est point savante,
a Hélas ! et je le sais trop bien ;
» Mais que vous vous moquiez du grand musicien,
» De l’Orphée, en un mot, de notre république,
» C’est ce que pas un ne s’explique,
» C’est à quoi je ne comprends rien !
» — Son interlocuteur sur le champ lui réplique :
— « Fauvette, je veux bien vous tirer d’embarras,
» Mais vous ne divulguerez pas
» La raison que je vais vous dire en confidence
» Apprenez donc qu’au temps de mon enfance,
» Dans l’aimable saison où nous faisons l’amour,
» Mécontent de moi-même ou blessé d’une offense ,
» J’étais triste et maussade, un jour.
» Charmés de voir les fleurs et les feuilles renaître,
» La Fauvette, — c’était voire mère, peut-être ? —
» Le Rossignol chantaient, s’écoulaient tour à tour.
» Le concert achevé, les oiseaux d’alentour
» D’éclater soudain en louanges…
» Que du Merle parfois les pensers sont étranges !
» — Dans celle tourbe de flatteurs
» Je vais assurément passer pour un génie,—
» Pensais-je, — en me montrant rebelle à l’harmonie,
» En poussant seul des sons improbateurs…
» Et de siffler!… Rien loin qu’elle en fût offensée,
» Je ne fis qu’augmenter la gloire des chanteurs.
» A force d’exprimer faussement ma pensée,
» — Car depuis ce jour-là je pris goût aux sifflets, —
» Moi-même je tombai dans mes propres filets :
» — Il faut de mes erreurs qu’enfin je me répente,
» Que je résiste à ma funeste pente,
» Disais-je, et je faisais le serment, tous les jours,
» De ne jamais siffler……et je siffle toujours! »
Ce Merle n’est-il pas le type et le modèle
D’une foule d’esprits, du reste bien doués?
Le beau, le bien par tous sont-ils loués ?
De leur pensée interprète infidèle,
Ils laisseront leur langue censurer,
Dénigrer :
Cela leur donne une verve plaisante !—
Que de louer le moment se présente.
Hélas ! ils ont perdu le beau don d’admirer!
“Le Merle et la Fauvette”