Mon nez un soir dit au tabac
Qui garnissait ma tabatière :
« Je ne sais, maudite poussière,
Dont j’use et ab hoc et ab hac,
Par quel micmac,
Il peut se faire
Qu’à tout ainsi je te préfère.
Dans mon amour désordonné,
Au goût dont je suis dominé
J’ai, sacrifiant toute chose,
Oublié pour toi les senteurs,
Les parfums les plus enchanteurs,
Et délaissé, sans autre cause,
Jusqu’aux plus odorantes fleurs.
Oui, je le dis avec douleurs,
Réséda, violette et rose
Ne sont, hélas ! plus rien pour moi
Qui suis toujours rempli de toi,
Ingrat. Et quelle récompense
Me revient-il de cet amour ?
Plus il acquit de violence
Et plus je vis de jour en jour
Diminuer la jouissance
Que tu me procurais jadis.
Plus je te chéris,
Moins tu fis
Sentir, à ma triste narine,
Le piquant, la saveur divine
Que dans tes sucs nature a mis.
Va, tu n’es rien qu’ingratitude ! »
— Oh ! je vous arrête à ce mot,
Interrompit l’herbe à Nicot ;
De ce qui vous arrive il faut
Ne vous prendre qu’à l’habitude,
Et qu’au défaut
D’avoir été prudent et sage.
Sachez, monarque du visage,
Que tout bien dont on fait usage
Exige, pour se maintenir,
Qu’on le ménage,
Et tâchez de vous souvenir,
Beau personnage,
Si vous en avez le loisir,
Que tout plaisir qu’on prend sans cesse,
D’abord s’émousse, et bientôt cesse
D’être un plaisir.
“Le Nez et le Tabac”