Faites, si vous pouvez, du bien à votre frère.
Mais, fussiez-vous pour tous un ange tutélaire,
A juger mal d’autrui le monde toujours prêt,
Ne vous verrait agir que dans votre intérêt :
Voici, pour le prouver, un récit sans réplique
Que j’ai lu, dans Deschamps, comme un fait historique.
Un paysan, voisin d’un seigneur de canton,
Têtu comme un mulet, un peu moins qu’un Breton,
Un Normand, à ce titre, ami de la chicane,
Assigna son seigneur au sujet d’un platane
Qui nuisait à son champ. Chacun, alors, prédit
Qu’il perdrait un procès qu’en effet il perdit.
« Aujourd’hui, contre vous, par un rare caprice,
» J’ai vu se réunir la force et la justice,
» Lui dit son avocat. Croyez-en mon conseil :
» Renoncez à poursuivre un procès sans pareil.
» Je me suis fait grand tort en plaidant votre cause ;
» Mais laissons ces regrets, et parlons d’autre chose.
» Les procès les plus chers sont les procès perdus :
» Vous me devez, monsieur, pour solde, cent écus. »
Cent écus ! Tous les biens que possédait notre homme
N’auraient pas, à bon prix, valu pareille somme.
Aussi, malgré sa tête, instruit par le malheur,
Il renonça, je crois, au métier de plaideur.
Le baron, cependant, ému par les alarmes
De sa voisine en pleurs : « Femme, séchez vos larmes,
» Dit-il avec bonté. De Georges, votre époux,
» Je paîrai tous les frais, non pour lui, mais pour vous ;
» Pour vous et vos enfants. » Quand on craint un naufrage,
Le calme est un bonheur : de son pauvre ménage,
Pour la première fois, Jeanne connut le prix.
Par elle, son époux eut bientôt tout appris :
« Oh ! oh ! dit le Normand, si c’est ainsi, ma belle,
« On y voit bien que monsieur tremble que j’en appelle. »
“Le Paysan plaideur”