Paul Vallin
Poète, romancier et fabuliste contemporain – Le péché de Gourmandise
Point n’est besoin de dire tout haut le fond de sa pensée,
Il en résulte toujours maints désagréments !
Un beau matin d’été, un curé de campagne
S’en allait cheminant au pas lent de sa mule
Qu’il chevauchait sans honte, en lisant son bréviaire.
La nature était belle, les fruits couvraient les arbres,
Et les haies étaient noires de mûres appétissantes.
« Ciel, se dit le curé, de ma vie je n’ai vu
Si belles mûres accrochées aux branches de ce roncier ! »
Il arrête donc sa mule devant un grand buisson,
Et se pique en tentant d’attraper une branche
Pour cueillir une baie cachée sous une épine.
Afin de s’approcher des plus beaux de ces fruits,
Il se dresse sur la selle de la mule et, debout,
Se régale de ces baies gorgées de ce soleil
Qui fait mûrir les fruits et leur donne si bon goût.
Accoutumée d’aller comme le voulait son maître,
Stoïque sous le fardeau, la mule ne bougeait pas.
Mais une fois rassasié de ces beaux fruits juteux,
Notre curé sourit en regardant sa bête
Dont l’immobilité lui faisait marchepieds.
« Dieu ! se dit-il soudain, j’aurais vraiment bonne mine
Si quelqu’un arrivait et criait ‘’Hue la mule !’’ »
Il avait pensé haut, sa mule part brusquement
Et notre bon curé chuta dans les épines.
Il lui fut impossible de se tirer d’affaire
Tant les ronces l’accrochaient, lui reprochant le vol
Du produit de leurs branches toutes hérissées de griffes.
Quant à la mule docile, d’un petit pas tranquille,
Elle s’en était allée rejoindre son écurie.
Apercevant la mule rentrer seule à la cure,
La servante s’inquiéta, alerta paroissiens
Qui s’en allèrent en hâte secourir leur curé.
Celui-ci entendit leurs appels angoissés
Et les héla ainsi : « Je suis ici braves gens,
Venez me dégager de ces ronces geôlières
Dont je ne parviens pas à me débarrasser »
– « Oh ! monsieur le curé, questionna un enfant,
Qui donc vous a perché sur ce buisson ardent ? »
– « C’est un bien gros péché, celui de gourmandise.
Ce matin en passant, et grimpé sur la mule,
Comme Ève j’ai succombé à ces fruits défendus
Et ces diables de ronces me font grande pénitence.
Aide-moi mon enfant à quitter cet enfer. »
C’est une morale de fable : « Ne pensez jamais haut,
Car le diable pourrait bien vouloir vous prendre au mot ! »
Paul Vallin
- Illustration source : Davies, William – 24 August 1797.