De tous ceux qu’il peignait, un disciple d’Appelles
Avait l’art de saisir l’attitude et les traits
Avec des touches si fidelles,
Que l’on s’imaginait, en voyant ses portraits,
En voir respirer les modèles.
De l’heureux incarnat dont brille la beauté,
Il ne coloriait jamais les teints livides,
De la vieille coquette il conservait les rides,
Du stupide Midas le regard hébété,
Enfin aucun objet par lui n’était flatté ;
Et des peintres du jour ignorant la tactique,
Sous des traits empruntés, son pinceau véridique
Ne savait point cacher une difformité.
Ce talent, en tous lieux vanté,
Ne lui procurait pas une seule pratique.
(Pour réussir, dire la vérité,
N’est pas un bon moyen, c’est à tort qu’on y compte.)
Notre peintre l’apprit : car chacun, pour son compte,
En voyant ses défauts avec soin retracés,
Lui laissait les portraits qu’il avait commencés.
S’apercevant qu’une telle méthode
Le conduirait à l’hôpital,
Des autres, à la fin, il adopta la mode,
Et dans l’art de flatter n’eut bientôt plus d’égal.
Son pinceau n’opéra que des métamorphoses ;
Il changeait, d’un seul trait, la laideur en beauté,
Substituait l’éclat et la fraîcheur des roses
A la morne lividité,
Ressuscitait les fleurs de la jeunesse
Sur le front que les ans n’avaient pas respecté,
Et donnait aux plus sots un air plein de finesse.
Enfin, pour éviter recueil
Où l’avait entraîné son inexpérience,
De tout le monde il caressait l’orgueil
Aux dépens de la ressemblance.
Le plus brillant succès couronna son espoir ;
Son changement du sort fit changer la balance,
Et dans son atelier il vit bientôt pleuvoir
Tous les trésors en abondance.
Ceci ne doit point étonner :
Se croire sans défauts, est le défaut des hommes ;
Il ne faut que savoir flatter,
Pour faire son chemin dans le siècle où nous sommes.
“Le Peintre”