Le Pot de fer proposa
Au Pot de terre un voyage.
Celui-ci s’en excusa,
Disant qu’il ferait que sage
De garder le coin du feu :
Car il lui fallait si peu,
Si peu, que la moindre chose
De son débris serait cause.
Il n’en reviendrait morceau.
Pour vous, dit-il, dont la peau
Est plus dure que la mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.
– Nous vous mettrons à couvert,
Repartit le Pot de fer.
Si quelque matière dure
Vous menace d’aventure,
Entre deux je passerai,
Et du coup vous sauverai.
Cette offre le persuade.
Pot de fer son camarade
Se met droit à ses côtés.
Mes gens s’en vont à trois pieds,
Clopin-clopant comme ils peuvent,
L’un contre l’autre jetés
Au moindre hoquet qu’ils treuvent.
Le Pot de terre en souffre ; il n’eut pas fait cent pas
Que par son compagnon il fut mis en éclats,
Sans qu’il eût lieu de se plaindre.
Ne nous associons qu’avecque nos égaux.
Ou bien il nous faudra craindre
Le destin d’un de ces Pots.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 25. Au moindre hoquet qu’ils treuvent.
Treuvent. . . avecque.. . Ces mots-là, qu’on pardonnait autrefois, sont devenus barbares. Je l’ai déjà observé, et je n’y reviendrai plus. (Le Pot de terre et le Pot de fer)
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
Le Pot de terre et le Pot de fer.
Esope, 295, 329.
On lit dans l’Ecclésiastique, chap. XIII » Celui qui se lie avec un plus grand que lui se met un fardeau pesant sur les épaules. N’entrez point en société avec un plus riche que vous : quelle union peut-il y avoir entre un pot de terre et un pot de fer? car lorsqu’ils se heurteront l’un contre l’autre, celui de terre sera brisé. Quid communicabilt cacabus ad ollam ? quando enim se colliserint, confringetur. »
Citons, à propos de cet apologue, quelques réflexions de M. Saint-Marc Girardin. .
« Le pot de terre est sage, et il refuse d’abord. Mais quoi! le pot de fer est bon prince. « Allons donc, mon cher! Quel « scrupule est-ce là? Croyez-vous que je ne sache pas bien que nous sommes tous égaux? Ne datons-nous pas tous de 89? Me prenez-vous pour un prince d’ancienne date? Venez avec moi. » Comment résister à de pareilles prévenances? Ajoutez-y le plaisir secret que trouve la vanité à se mettre de pair avec plus grand que soi. « Je ne suis qu’un roturier, nous disons-nous tout bas, et me voilà de pair à compagnon avec un prince. C’est lui qui m’appelle, c’est lui qui me cherche. Il y aurait de l’orgueil à refuser. » Pour ne pas être coupable d’orgueil, la vanité cède, et voilà la camaraderie qui commence de la plus charmante manière : le prince tutoie et se laisse tutoyer. C’est l’égalité parfaite. Seulement, comme l’un en prend plus que l’autre au fond n’en donne, il arrive un jour que tout change. Voltaire quitte Sans-Souci, où Frédéric l’avait invité, et revient en maudissant celui qu’il appelle Busiris au retour, et qu’il appelait le Salomon du Nord au départ. C’est l’histoire du voyage des deux pots. »