Pañchatantra ou fables de Bidpai
X. — Le Pou et la Puce
Un roi avait dans un certain endroit un beau lit. Dans ce lit, au milieu d’une paire de draps très-blancs, habitait un pou blanc nommé Mandavisarpinî. Ce pou passait agréablement le temps à savourer le sang du roi. Un jour une puce nommée Agnimoukha, qui errait, vint là dans le lit. Lorsque le pou la vit, il dit avec un air triste : Hé, Agnimoukha ! comment se fait-il que tu viennes dans ce lieu, où tu ne dois pas venir ? Va-t-en donc vite, pendant que personne ne sait encore que tu es ici. — Vénérable, répondit la puce, même à un méchant, quand il vient dans la maison, il n’est pas convenable de parler ainsi. Et l’on dit :
Viens, approche, assieds-toi sur ce siège, pourquoi ne t’ai-je pas vu depuis longtemps ? Comment te portes-tu ? Tu es très-faible, bonheur à toi ! Je suis joyeux de te voir. Voilà ce qui convient toujours aux gens de bien, lorsqu’un homme, même de basse condition, vient dans leur maison ; c’est là, disent les légistes, le devoir des maîtres de maison, devoir facile et qui donne le ciel.
De plus, j’ai goûté diverses espèces de sang de beaucoup d’hommes ; ce sang, par la faute de la nourriture, avait une saveur salée, piquante, amère, astringente, ou acide ; mais jamais je n’ai goûté un sang doux. Si donc tu m’en fais la grâce, je me donnerai du plaisir avec la langue en goûtant le sang doux de ce roi, qui s’est produit dans son corps par suite de la consommation de mets assaisonnés à différentes sauces, de breuvages, de sirops et de friandises. Et l’on dit :
Pour un malheureux ou pour un roi le plaisir de la langue est, dit-on, égal : ce plaisir seul est réputé comme la meilleure chose ; pour lui l’homme se donne de la peine.
Et ainsi :
S’il n’y avait pas dans le monde un acte qui donnât le plaisir de la langue, alors personne ne serait serviteur ni n’obéirait à quelqu’un.
En outre :
Si un homme dit un mensonge, s’il honore celui qui ne doit pas être honoré, et s’il va en pays étranger, tout cela c’est pour son ventre.
Je dois donc, moi ton hôte tourmenté par la faim, te demander de la nourriture. Il n’est pas convenable que toi seul tu te nourrisses du sang de ce roi.
Lorsque Mandavisarpinî eut entendu cela, il dit : Ô puce ! je goûterai le sang de ce roi quand il sera tombé dans le sommeil ; puis tu le goûteras à ton tour, Agnimoukha légère. Si donc tu veux boire le sang avec moi, reste ; goûte ce sang si désiré. — Vénérable, répondit la puce, je ferai ainsi. Si tu ne goûtes pas le premier le sang du roi, que la malédiction de Vrihaspatil tombe sur moi.
Tandis qu’ils parlaient ainsi l’un avec l’autre, le roi se mit au lit et s’assoupit. Mais la puce, dans l’ardeur excessive de sa gourmandise, mordit le roi pendant qu’il était encore éveillé. Et certes on dit ceci avec raison :
Le naturel ne peut être changé par des conseils : l’eau, même très-chaude, redevient froide.
Si le feu était froid, si la lune avait la propriété de brûler, alors ici-bas le naturel des mortels pourrait être changé.
Le roi, comme s’il avait été piqué par une pointe d’aiguille, quitta le lit et se leva à l’instant. Holà ! que l’on cherche ! Dans cette couverture il y a sûrement une puce ou un pou, car j’ai été mordu. Puis les serviteurs du gynécée qui étaient là étendirent vite la couverture et regardèrent avec une vue perçante. Cependant la puce, par sa très-grande légèreté, se glissa au bout de la couche. Mandavisarpinî, caché dans les plis de la couverture, fut aperçu par les serviteurs, et tué. Voilà pourquoi je dis :
Il ne faut pas donner asile à celui dont on ne connaît pas le caractère. Par la faute d’une puce Mandavisarpinî fut tué.
Puisque vous savez cela, il faut que vous le fassiez mourir ; sinon, il vous tuera. Et l’on dit :
Celui qui abandonne ses proches et fait des étrangers ses proches trouve la mort comme le roi Kakoudrouma.
Comment cela ? dit Pingalaka. Damanaka dit :
“Le Pou et la Puce”
- Panchatantra 10