Commentaires et analyses sur “Le Pouvoir des Fables” de MNS Guillon – 1803.
- Le Pouvoir des Fables.
(1) Seront-ils pas, C’était an siècle dernier un usage commun de retrancher la négative. Les exemples en sont fréquents dans La Fontaine. Molière : Vous avais-je pas commande’ dé les recevoir ? ( Précieuses ridic. Acte I. sc. 4. ) Nous avons vu que. Thomas Corneille s’était à la fin élevé contre cette dispense, et l’usage a confirmé la juste sévérité du poète.
(2) Que nos deux rois se lassent d’être amis. Le bon La Fontaine aurait désiré voir partout autour de lui la paix qui régnait dans son cœur. Le vœu qu’il en exprime ici, il l’avait déjà prononcé en terminant son septième Livre. ( Voy. plus haut, p. 68.)
(3) De combattre cette Hydre, etc. Quoique notre poète se fût bientôt dégoûté de la lecture de Malherbe, on voit qu’il lui en était resté bien des souvenirs. C’était une première passion. Ces beaux vers présentent les mêmes images que la première strophe de la fameuse Ode de Malherbe à Louis XIII, allant combattre les Rochelois. On sait que l’Hydre était un serpent à plusieurs têtes, lesquelles renaissaient sous les coups d’Hercule , à mesure qu’elles étaient abattues. Ce Dieu voyant le fer impuissant, les combattit avec le feu, et vint à bout d’exterminer le monstre. On a depuis donné ce nom à tout obstacle ou ennemi qui se renouvelle à mesure qu’il est détruit.
(4) Son sujet vous convient. On ne fera pas aux dédicaces de notre Fabuliste les reproches que Voltaire a faits à celles du grand Corneille. Il n’y a rien ici qui sorte du caractère du personnage auquel l’éloge s’adresse , et de l’écrivain qui l’a fait. Il est tout simple de comparer un négociateur à Démosthène ; c’est lui rappeler le besoin et les ressources de l’éloquence. Il est en même temps très-délicat au Fabuliste de choisir Démosthène pour héros d’un apologue présente a on Ambassadeur.
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S’ils osent quelquefois prendre un air de grandeur,
Seront-ils point traités par vous de téméraires ?
Vous avez bien d’autres affaires
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J’y consens ; mais que l’Angleterre
Veuille que nos deux Rois se lassent d’être amis,
J’ai peine à digérer la chose.
N’est-il point encor temps que Louis se repose ?
Quel autre Hercule enfin ne se trouverait las
De combattre cette Hydre ? et faut-il qu’elle oppose
Une nouvelle tête aux efforts de son bras ?
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Et le récit en vers qu’ici je vous dédie.
Son sujet vous convient ; je n’en dirai pas plus :
Sur les Éloges que l’Envie
Doit avouer qui vous sont dus,
Vous ne voulez pas qu’on appuie.
Dans Athènes autrefois peuple vain et léger,
Un Orateur voyant sa patrie en danger,
Courut à la Tribune ; et d’un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l’écoutait pas : l’Orateur recourut
A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes.
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put.
Le vent emporta tout ; personne ne s’émut.
L’animal aux têtes frivoles
Etant fait à ces traits, ne daignait l’écouter.
Tous regardaient ailleurs : il en vit s’arrêter
A des combats d’enfants, et point à ses paroles.
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
Cérès, commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l’Anguille et l’Hirondelle :
Un fleuve les arrête ; et l’Anguille en nageant,
Comme l’Hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. L’assemblée à l’instant
Cria tout d’une voix : Et Cérès, que fit-elle ?
– Ce qu’elle fit ? un prompt courroux
L’anima d’abord contre vous.
Quoi, de contes d’enfants son peuple s’embarrasse !
Et du péril qui le menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l’effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ?
A ce reproche l’assemblée,
Par l’Apologue réveillée,
Se donne entière à l’Orateur :
Un trait de Fable en eut l’honneur.
Nous sommes tous d’Athène en ce point ; et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
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(5) D’un art tyrannique. L’éloquence. parce qu’elle subjugue et entraine. L’antiquité avait peint cet art sons l’emblème de la force elle-même , d’un Hercule jeune , plein de rigueur, tenant à la bouche un double rang de chaînes qui tombent et embrassent un grand nombre d’hommes accourus pour l’entendre.
(6) Tonna, dit ce qu’il put. Ardent, impétueux, et cependant toujours maître de lui-même, par la fécondité de ses ressources, comme il l’était des autres, par l’ascendant de son génie, ce grand homme devait à l’étude et à la nature ce genre d’éloquence qui force les auditeurs à se reconnaitre dans l’humiliante peinture de leurs fautes et de leur situation.
(7) L’animal aux têtes frivoles. Cette expression hardie,mais si vraie, appartient à Horace, bellua multorum capitum , a-t-il dit en parlant du peuple romain. ( Liv. I. ep. I. rers 76. ) Tous les peuples se ressemblent. M. l’abbé Aubert s’est rencontré avec La Fontaine dans l’imitation du poète latin. (L. VI. f. 3. ) En donnant au peuple cette qualification , les traducteurs français ont encore affaibli les couleurs dont on l’avait peint avant eux. Palingene , dans son beau poème du Zodiaque, l’appelle une bête furieuse: Quod furit atque ferit saevissima bellua Vulgus. Sénèqne, Montaigne, Charron, Naudé ne le traitent pas avec plus de ménagement; ce dernier enchérit peut-être, quand il dit: » Ceux qui en ont fait la plus entière description, le représentent à bon droit comme une beste à plusieurs testes , vagabonde, errante , folle, étourdie, sans conduite, sans esprit, ni jugement, ( Considér. politiq. sur les coups d’état, p. 235. ) Je doute que notre postérité brise ce tableau.
(8) Cérès, commença-t-il. On raconte d’une autre manière l’apologue employé par le célèbre orateur. Un jeune homme avait loué un âne pour aller à Mégare. C’était un jour d’été. Vers le midi, lorsque le soleil est dans sa plus grande force, le maître de l’âne et le voyageur se disputaient à qui profiterait de l’ombre que donnait le corps de l’animal. Je vous ai loué mon âne, et non pas l’ombre, — Non, disait l’autre ; j’ai fait marché pour la bête toute toute entière . En même temps , l’orateur se tût, et faisait mine de s’en aller. Les Athéniens l’arrêtent : on veut savoir le dénouement. 4. Démosthène : l’ombre d’un âne vous occupe, vous intéresse ; et les matières les plus graves, vous ne les entendez qu’avec indifférence , etc. ( Dan. Héinsius, Laus Asini sub initio. )
(9) Que ne demandez -vous ce que Philippe fait. Voici ce célèbre morceau : « Voyez jusqu’à quel point d’audace Philippe est parvenu…. Qu’attendez-vous pour agir ? La nécessité ? Eh ! justes Dieux ! en fut-il jamais une plus pressante pour des âmes libres que l’instant du déshonneur ? irez vous toujours dans la place publique vous demander s’il y a quelque chose de nouveau ? Et quoi de plus nouveau qu’un homme de Macédoine qui gouverne la Grèce, et veut subjuguer Athènes ? Philippe est-il mort ? — Non; mais il est malade ? — Eh, que vous importe ? Si celui-ci mourait , vous vous en feriez bientôt un autre, par votre négligence et votre lâcheté. »
(10) Nous sommes tous d’Athène en ce point. L’aimable facilite qui respire dans ces vers ! Nous sommes tous d’Athène est une transition heureuse Si peau d’âne m’était conté. Le peau d’âne auquel La Fontaine fait allusion n’est point le conte bleu publié sous ce nom par M. Perrault, et dont Boileau se moque dans une de ses lettres au docteur Arnauld. C’est l’une des Nouvelles de Bonaventure des Perriers, la dernière de sou recueil, dans l’édition de la Monnoye , et dont voici le sujet. Une jeune fille n’obtient la permission d’épouser son amant, qu’à la condition de paraître en public vêtue d’une peau d’âne ; elle s’y soumet; de-là l’origine du mot peau d’Âne.
(11) Le monde est vieux, dit-on, etc. Le rapprochement des deux extrêmes de la vie rend ces vers piquants et faciles à retenir, C’est-là le caractère qui distingue les proverbes, espèce de philosophie populaire joignant l’éclat des images ou des antithèses au bon sens et à la,concision. (Le Pouvoir des Fables)