A .M. De Barillon
La qualité d’Ambassadeur
Peut-elle s’abaisser à des contes vulgaires ?
Vous puis-je offrir mes vers et leurs grâces légères ?
S’ils osent quelquefois prendre un air de grandeur,
Seront-ils point traités par vous de téméraires ?
Vous avez bien d’autres affaires
A démêler que les débats
Du Lapin et de la Belette.
Lisez-les, ne les lisez pas ;
Mais empêchez qu’on ne nous mette
Toute l’Europe sur les bras.
Que de mille endroits de la terre
Il nous vienne des ennemis,
J’y consens ; mais que l’Angleterre
Veuille que nos deux Rois se lassent d’être amis,
J’ai peine à digérer la chose.
N’est-il point encor temps que Louis se repose ?
Quel autre Hercule enfin ne se trouverait las
De combattre cette Hydre ? et faut-il qu’elle oppose
Une nouvelle tête aux efforts de son bras ?
Si votre esprit plein de souplesse,
Par éloquence, et par adresse,
Peut adoucir les cœurs, et détourner ce coup,
Je vous sacrifierai cent moutons ; c’est beaucoup
Pour un habitant du Parnasse.
Cependant faites-moi la grâce
De prendre en don ce peu d’encens.
Prenez en gré mes vœux ardents,
Et le récit en vers qu’ici je vous dédie.
Son sujet vous convient ; je n’en dirai pas plus :
Sur les Éloges que l’Envie
Doit avouer qui vous sont dus,
Vous ne voulez pas qu’on appuie.
Dans Athènes autrefois peuple vain et léger,
Un Orateur voyant sa patrie en danger,
Courut à la Tribune ; et d’un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l’écoutait pas : l’Orateur recourut
A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes.
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put.
Le vent emporta tout ; personne ne s’émut.
L’animal aux têtes frivoles
Etant fait à ces traits, ne daignait l’écouter.
Tous regardaient ailleurs : il en vit s’arrêter
A des combats d’enfants, et point à ses paroles.
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
Cérès, commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l’Anguille et l’Hirondelle :
Un fleuve les arrête ; et l’Anguille en nageant,
Comme l’Hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. L’assemblée à l’instant
Cria tout d’une voix : Et Cérès, que fit-elle ?
– Ce qu’elle fit ? un prompt courroux
L’anima d’abord contre vous.
Quoi, de contes d’enfants son peuple s’embarrasse !
Et du péril qui le menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l’effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ?
A ce reproche l’assemblée,
Par l’Apologue réveillée,
Se donne entière à l’Orateur :
Un trait de Fable en eut l’honneur.
Nous sommes tous d’Athène en ce point ; et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau d’âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême,
Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 1. La qualité d’ambassadeur. (Le Pouvoir des Fables)
Ce M. de Barillon était l’un des plus aimables hommes du siècle-de Louis XIV. Il était intime ami de madame de Sévigné, à qui il disait : En vérité, celui qui vous aime plus que moi vous aime trop. Il avait te plus grand talent pour les négociations, comme on le voit dans les mémoires de Dalrimple imprimés de nos jours ; mais de son temps, il ne passait que pour un homme de beaucoup d’esprit et un homme de plaisir. C’est qu’il méprisait la charlatanerie de sa place, et qu’alors cette morgue faisait plus d’effet qu’à présent.
Au reste , le Prologue que lui adresse ici La Fontaine me paraît assez médiocre ; mais la petite historiette qui fait le sujet de cette prétendue fable, est très agréablement contée.
V. 65. Nous sommes tous d’Athènes en ce point….
Est une transition très-heureuse. Et quand La Fontaine ajoute qu’il s’amuserait du conte de Peau-d’âne , il peint les effets de son caractère. Il eut la constance d’aller voir , trois semaines de suite , Un charlatan qui devait, couper la tête à son coq , et la lui remettre; sur le champ. Il est vrai qu’il trouvait toujours des prétextes de différer jusqu’au lendemain. On avertit La Fontaine que le lendemain n’arriverait pas. Il en fut d’une surprise extrême.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Seront-ils pas, C’était an siècle dernier un usage commun de retrancher la négative. Les exemples en sont fréquents dans La Fontaine. Molière : Vous avais-je pas commande’ dé les recevoir ? ( Précieuses ridic. Acte I. sc. 4. ) Nous avons vu que. Thomas Corneille s’était à la fin élevé contre cette dispense, et l’usage a confirmé la juste sévérité du poète.
(2) Que nos deux rois se lassent d’être amis. Le bon La Fontaine aurait désiré voir partout autour de lui la paix qui régnait dans son cœur. Le vœu qu’il en exprime ici, il l’avait déjà prononcé en terminant son septième Livre. ( Voy. plus haut, p. 68.)
(3) De combattre cette Hydre, etc. Quoique notre poète se fût bientôt dégoûté de la lecture de Malherbe, on voit qu’il lui en était resté bien des souvenirs. C’était une première passion. Ces beaux vers présentent les mêmes images que la première strophe de la fameuse Ode de Malherbe à Louis XIII, allant combattre les Rochelois. On sait que l’Hydre était un serpent à plusieurs têtes, lesquelles renaissaient sous les coups d’Hercule , à mesure qu’elles étaient abattues. Ce Dieu voyant le fer impuissant, les combattit avec le feu, et vint à bout d’exterminer le monstre. On a depuis donné ce nom à tout obstacle ou ennemi qui se renouvelle à mesure qu’il est détruit.
(4) Son sujet vous convient. On ne fera pas aux dédicaces de notre Fabuliste les reproches que Voltaire a faits à celles du grand Corneille. Il n’y a rien ici qui sorte du caractère du personnage auquel l’éloge s’adresse , et de l’écrivain qui l’a fait. Il est tout simple de comparer un négociateur à Démosthène ; c’est lui rappeler le besoin et les ressources de l’éloquence. Il est en même temps très-délicat au Fabuliste de choisir Démosthène pour héros d’un apologue présente a on Ambassadeur… Lire la suite