Un des disciples de Pyrrhon,
Obstiné partisan du doute,
N’assuroit rien, hésitoit sur son nom,
Doutant même s’il est sans que cela lui coûte.
Ce philosophe donc dans le doute affermi,
Et tout fier de son ignorance ;
Se promenant un jour avec un sien ami
Dont il lassoit la patience,
Le lieu charmant ! Disoit l’homme sensé ;
Je n’en sçai rien, disoit le philosophe.
Quoi ! Ne trouvez-vous pas ce château bien placé ?
Reprenoit l’autre ; à l’apostrophe,
Le docteur ne rendoit qu’un peut-être glacé :
Nouveau discours, nouveau peut-être ;
À chaque question, toûjours je n’en sçai rien.
Vous êtes fou, je croi, disoit l’ami ; mon traître,
Répondoit fierement, cela se pourroit bien.
Pendant cet entretien bisarre ;
Un char sur leur chemin venoit au grand galop ;
Le cocher du plus loin s’écrioit ; gare, gare ;
Retirons-nous : pourquoi ? Bon, vous le voyez trop ;
Ce char… est-il des chars ? Eh que diable, il s’approche,
Il est à nous, voyez ; que sçai-je si je voi ?
Voulez-vous donc qu’il vous accroche,
Qu’il vous écrase ? Eh monsieur, croyez-moi,
Nous, et ce char, le mal, s’il en peut faire,
Dit le docteur, rien n’est certain.
Demeurons, allons notre train.
Demeurez donc, c’est votre affaire,
Reprit l’ami, pour moi j’évite le hazard.
Le philosophe reste, et le cocher du char
Lui sangle un coup de fouet : il frappoit commequatre,
Le docteur crie et fuit, vous vous êtes fait battre ;
Lui dit l’ami, vous voyez bien
Qu’il est des foüets ; l’opiniâtre
Croit mettre à son mal une emplâtre,
D’oser répondre encor son fier, je n’en sçai rien.
La vérité pour nous se couvre d’un nuage ;
Mais elle perce, enfin tout n’est pas ignoré,
Le doute qui souvent est la marque du sage ;
L’est du fou, quand il est outré.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Le Pyrrhonien.