La morale sans doute est l’âme de la fable ;
C’est une fleur qui doit donner son fruit :
Vous voulez seulement lire un conte agréable ;
Sans le vouloir, vous allez être instruit.
On badine ; il paroît qu’on ne songe qu’à plaire
Et le jeu se tourne en leçon.
L’homme n’eût point voulu d’un précepte sévère ;
Pour le prendre, il falloit trouver cet hameçon.
Ainsi ce phrigien que l’univers renomme,
Fut précepteur du genre humain.
Qu’un lecteur est bien sous sa main !
Il l’amuse en enfant ; mais pour en faire un homme.
Cultivons ce bel art. Qu’à l’envi du premier
S’élèventde nouveaux Ésope,
Censeurs réjoüissans, et qui loin de crier
Comme de chagrins misantropes,
En nous réprimandant se font remercier.
Mais, faisons-nous des règles sûres,
Que le conte soit fait pour la moralité ;
Prenons si juste nos mesures,
Que nous allions tout droit à notre vérité :
Que le trait soit vif, et qu’il frappe.
N’allez pas vous répandre en de trop longs propos ;
Plus le sens est précis, et moins il nous échappe.
Gagnez-vous la mémoire en ménageant les mots.
D’elle-même parfois la fable est évidente ;
Le sens en saute aux yeux, et l’art
Défend alors qu’on le commente.
J’observe ici cette règle prudente.
Qui n’entendra pas mon renard ?
Un renard grand docteur, mais déja chargé d’âge,
Ne pouvant plus comme autrefois,
Assiéger les oiseaux, ni chercher loin ses droits,
De la ruse essaya l’usage.
Il se mit à prêcher, dit-on,
Contre la guerre injuste et l’appetit glouton.
Outre une morale si belle,
Il avoit forte voix, geste libre et bon ton,
L’air humble et grand dehors de zèle :
Père renard se fit bien-tôt un nom ;
On dit que le lion eut désir de l’entendre ;
Père renard refusa cet honneur.
Il avoit ses raisons, et qu’il sçut faire prendre
Pour crainte de s’enfler le cœur.
Outardes, poules, et mainte oye
S’en venoient en foule au sermon ;
On n’appréhendoit point de devenir sa proye ;
Son texte rassuroit tout l’auditoire oison.
Malheur, s’écrioit-il, à l’animal vorace !
Quoi, sans tuer ne peut-on se nourrir ?
Nous avons tant de biens que le ciel de sa grâce,
Dans les campagnes fait fleurir,
Et sur les rameaux fait meurir :
Vivons d’herbe et de fruits ; que faut-il autre chose ?
Tout ce qui vit, messieurs, doit être respecté.
Nous en dirons plus d’une cause :
Injustice primo ; secundo cruauté ;
Mais cruauté qui nous expose
À manger nos parens ; oui, nos parens, messieurs :
Car apprenez que par métempsicose,
(écoutez bien chers auditeurs)
Après que dans un corps l’ame a fait quelque pause,
Elle passe en un autre, et là ne se repose
Que pour passer encor ailleurs.
Vous voyez bien que le loup sanguinaire
En mangeant un mouton, peut bien manger son père :
Que moi renard, si j’allois escroquer
Quelque poule ou bien quelque outarde,
Je m’exposerois à croquer
Ma pauvre mère la renarde.
Plûtôt mourir cent fois ! Ah ! Que le ciel m’en garde.
C’est ainsi que s’estomaquoit
Le Pithagore à longue queuë :
Ses exclamations s’entendoient d’une lieue,
Et son zèle le suffoquoit.
Le sermon achevé, tout l’auditoire en joye
En le louant se retiroit :
Mais pour le consulter, quelque poule ou quelque oye
Avec le cafard demeuroit.
Pour sa collation il vous croquoit la proye ;
Bienheureuse qui s’en tiroit !
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Le Renard Prédicateur.