Un vieux renard cassé, goutteux, apoplectique,
mais instruit, éloquent, disert,
et sachant très bien sa logique,
se mit à prêcher au désert.
Son style étoit fleuri, sa morale excellente.
Il prouvoit en trois points que la simplicité,
les bonnes mœurs, la probité,
donnent à peu de frais cette félicité
qu’ un monde imposteur nous présente
et nous fait payer cher sans la donner jamais.
Notre prédicateur n’ avoit aucun succès ;
personne ne venoit, hors cinq ou six marmotes,
ou bien quelques biches dévotes
qui vivoient loin du bruit, sans entour, sans faveur,
et ne pouvoient pas mettre en crédit l’ orateur.
Il prit le bon parti de changer de matière,
prêcha contre les ours, les tigres, les lions,
contre leurs appétits gloutons,
leur soif, leur rage sanguinaire.
Tout le monde accourut alors à ses sermons :
cerfs, gazelles, chevreuils, y trouvoient mille
charmes ;
l’ auditoire sortoit toujours baigné de larmes ;
et le nom du renard devint bientôt fameux.
Un loin, roi de la contrée,
bon homme au demeurant, et vieillard fort pieux,
de l’ entendre fut curieux.
Le renard fut charmé de faire son entrée
à la cour : il arrive, il prêche, et, cette fois,
se surpassant lui-même, il tonne, il épouvante
les féroces tyrans des bois,
peint la foible innocence à leur aspect tremblante,
implorant chaque jour la justice trop lente
du maître et du juge des rois.
Les courtisans, surpris de tant de hardiesse,
se regardoient sans dire rien ;
car le roi trouvoit cela bien.
La nouveauté par fois fait aimer la rudesse.
Au sortir du sermon, le monarque enchanté
fit venir le renard : vous avez su me plaire,
lui dit-il, vous m’ avez montré la vérité ;
je vous dois un juste salaire :
que me demandez-vous pour prix de vos leçons ?
Le renard répondit : sire, quelques dindons.
“Le Renard qui prêche”