Pierre Louis Solvet
Homme de lettres, écrivain et analyses des fables – Le Rieur et les Poissons
Études sur Le Rieur et les Poissons de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812
- Le Rieur et les Poissons.

V. 1. On cherche les rieurs, et moi je les évite.
Cet art veut, sur tout autre, un suprême mérite.
« C’est une étrange entreprise que de faire rire les a honnêtes gens, dit Molière (2). » Le même, comparant le métier de plaisant à celui d’astrologue : « Bien mentir et bien plaisanter, dit-il encore, sont des choses fort différentes : il est bien plus facile de tromper les gens que de les faire rire (3). »
V. 4. Dieu ne créa que pour les sots
Les méchants diseurs de bous mots.
La Fontaine a dit vrai : le ciel fit pour les sots
Tous les méchants diseurs d’insipides bons mots.
Je plains le malheureux qui s’est mis dans la tête
De plaire aux gens d’esprit à force d’être bête.
(Le Brun Ep. sur la bonne et mauvaise Plaisanterie.)
V. 11. Il prend donc les menus, puis leur parle à l’oreille.
Cette circonstance,et toute la Fable en elle-même , rappelle une des mystifications les plus plaisantes de celles qu’on fit éprouver à Poinsinet. II crut, un jour, que des carpes et des brochets avoient parlé à l’oreille d’un convive, dans un repas qu’on donnait pour un grand voyageur ; et il n’en lut pas totalement désabusé, même lorsqu’il eut reconnu les premières tromperies. Il disait : « On m’a bien amusé, mais j’ai vu le brochet s’élancer du plat et parler à l’oreille du voyageur. » C’était celui qui avait joué son rôle avec le plus intrépide sang-froid.
V. 24. De dire si la compagnie
Prit goût à la plaisanterie,
J’en doute………
Ce moyen de la faire passer n’est pas sans adresse ; mais elle n’est point du tout mauvaise, surtout dans la bouche d’un de ces hommes que les anciens appelaient parasites. (Ch.)
Une autre facétie du même genre, et beaucoup moins apprêtée, c’est ce lazzi d’un Gascon , qui se voyant, à une table où il était, éloigné de quelques poulets qu’on avait servis, prit des miettes de pain, et les répandant sur son assiette, leur criait, à la manière des paysannes : petits , petits ; et l’on peut croire que cela prêtant à rire à la compagnie, réussit complètement à notre homme.
(1) Cette Fable tire son origine d’une plaisanterie que le poète Philoxène fit à la table de Denys, tyran de Sicile, et qu’Athénée nous a conservée. Ce poète est particulièrement célèbre dans l’antiquité par sa franchise, qui bravait les carrières, et par son épicurisme. C’est encore le glouton de La Fontaine dans celui de ses contes qui porte ce titre. Le poète français n’a fait que traduire ses propres paroles, adressées aux personnes qui étaient autour de lui, lorsque près de mourir pour avoir trop mangé, il leur dit :
M’y voilà tout résolu ; Et puisqu’il faut que je meure, Sans faire tant de façon . Qu’on m’apporte tout-à-l’heure Le reste de mon poisson.
(2) Critique de L’École des Femmes.
(3) Amants Magnifiques, acte 1, scène 2.
Commentaire de l’Abbé Guillon
On retrouvera l’idée de cette fable dans une plaisanterie que fit le poète Philoxène à la table de Denys, tyran de Syracuse, ce Philoxène est moins connu par ses ouvrages , que par une réponse fière au même Denys. Ce prince l’ayant prié de corriger une pièce qu’il venait de composer, Philoxène l’avait raturée depuis le commencement jusqu’à la fin. Cette hardiesse le fit condamner aux Carrières, prison de Syracuse. Le lendemain, Denys le fait sortir : il l’admet à sa table , et sur la fin du dîner , ayant récité quelques-uns de ses vers, eh bien, dit-il, qu’en pensez-vous, Philoxène ? Le poète, sans lui répondre, dit aux satellites : Qu’on me ramène aux Carrières. (PIutarque, de la fortune d’Alex, Diodore de Sicile. L. XV. p. 331. )