Pierreval
Poète et fabuliste XVIIIº – Le Rossignol et ses critiques
Caché modestement sous un épais feuillage,
Un jeune rossignol, nouveau chantre des bois,
Charmait, par son brillant ramage,
Les oiseaux assemblés pour admirer sa voix.
Tout se taisait dans le bocage,
Même le perroquet : pour la première fois
Il suspendait son bavardage ;
Mais le concert bientôt cessa,
Et la critique, c’est l’usage,
Prit la parole et commença.
En mots obscurs, d’abord, un canard romantique
Blâme du rossignol le chant pur et classique.
Pourquoi, dit le moineau, tant de timidité ?
Il faut savoir oser ; sans une heureuse audace,
Parmi les beaux chanteurs on n’est jamais compté.
— Vous vous trompez, répondit la bécasse ;
Il est trop jeune en vérité,
Et pour chauler il faut plus de maturité ;
C’est un bien grand défaut, messieurs, que la jeunesse.
Un oison lui voudrait plus de délicatesse,
Le paon plus de simplicité,
Le pinson plus de gravité,
Le sansonnet plus de sagesse,
Le chat-huant plus de gaîté,
Et le dindon plus de finesse.
Un rossignol devenu vieux,
Soutient que de son temps on chantait beaucoup mieux.
En criant au voleur, dame Margot la pie,
Fredonna d’anciens airs et dit qu’il les copie ;
Corbeau, grue et vautour lui trouvent vingt défauts,
Et certain merle sourd prétend qu’il chante faux.
Lorsqu’ils eurent tout dit, le chantre du bocage,
Sans répondre, sans discuter,
Reprit tranquillement son aimable ramage,
Et l’on se tut pour l’écouter.
Pierreval, Le Rossignol et ses critiques