Fables et poésies de Jean de La Fontaine
Un bruit s’épandit en tous lieux,
Qu’aux oiseaux qui chantoient le mieux
On donneroit du grain pour toute leur année.
« J’en aurai, dit le Rossignol,
Si la chose est bien ordonnée. »
Tout aussitôt il prend son vol,
Pour s’en aller à la donnée.
Là vinrent des oiseaux de toutes les façons :
Force Serins, force Pinsons,
Force Merles, force Alouettes,
De Linottes très-peu, encor moins de Fauvettes,
Quoiqu’on estime assez leurs petites chansons.
Tout content de son aventure,
Le Rossignol auroit gagé
Qu’il seroit le mieux partagé;
Mais il eût perdu la gageure.
Honteux, déchu de tous ses droits,
Il se retira dans les bois,
Ses plus agréables refuges,
Où depuis il a dit cent fois :
« 0 Nature ! ôte-moi la voix,
Ou donne-moi de meilleurs juges ! »
1. Cette fable, dont nous ignorons la provenance, parut d’abord dans l’Almanach littéraire, ou Étrennes d’Apollon (Paris, veuve Duchesne, 1780, in-12), dont l’éditeur, d’Aquin de Chateaulyon, l’a publiée, avec la fable de La Tourterelle veuve du Hibou, empruntée à la comédie de La Fontaine et de Champmêlé : Je vous prends sans vert, en les réunissant l’une et l’autre sous ce titre : Deux nouvelles fables de La Fontaine trouvées dans un portefeuille. La fable du Rossignol nous parait faire allusion aux pensions royales que Colbert distribua aux gens de lettres en 1662, d’après un Mémoire rédigé par Chapelain sur le mérite de chacun d’eux. La Fontaine, qui n’avait pas encore publié ses Contes et ses Fables, mais qui était déjà bien connu par son talent de poète, fut oublié dans le mémoire comme sur la liste des pensions. (Le Rossignol fable de La Fontaine)