Un ruisseau, fils d’une montagne,
A travers les rochers se fit passage un jour.
Le spectacle inconnu d’une immense campagne.
Et mille objets nouveaux l’enchantent tour à tour.
Un désir plus ardent entraîne enfin son onde;
Il s’échappe, il veut voir le monde,
Le monde si rempli d’appas,
Lorsque surtout on ne le connaît pas.
Un pré voisin reçoit sou onde pure.
Là, tout à coup charmé des fleurs, de la verdure.
Il va, revient, et d’un pas incertain
Roule au gré du destin.
Des saules desséchés, qui, dans cette prairie,
Vieillissaient consumés sans espoir de secours,
A travers leur écorce entrouverte et flétrie.
Virent le jeune ondin s’égarant dans son cours.
Venez, lui dirent-ils, venez sous ces ombrages,
Vous rafraîchirez nos feuillages,
Et nous, par un juste retour,
Nous vous garantirons de ce flambeau céleste,
Astre puissant, père du jour,
Dont le trop d’ardeur est funeste.
Le voyageur, attiré par ces mots,
Houle près d’eux ses jeunes flots.
Aussitôt ranimés, les saules refleurissent.
Leurs vieilles branches reverdissent,
Et d’une ombre plus fraîchent abrite le ruisseau.
Il conserve plus pur le cristal de son eau ;
Il coulait ignoré, mais sans trouble et sans crainte.
Il s’ennuya de ce bonheur secret.
« Que je suis bon ! dit-il, pour le seul intérêt
De ces saules touffus d’éprouver la contrainte.
Je ne veux plus languir en ce honteux repos. »
Lors d’une course vagabonde,
Sur un aride sable il va risquer ses eaux ;
Un feu brûlant tarit son onde.
Ah ! dans le printemps de vos jours,
Jeunes enfants, chérissez la vieillesse,
Elle a grand besoin de secours,
Et vous grand besoin de sagesse.
“Le Saule et le Ruisseau”
Claude-Henri Watelet, 1718 – 1786