A Monsieur Bonamy Médecin.
Appuyé sur sa bêche, un manant dans la plaine,
Après s’être longtemps au travail exercé,
Sur le déclin du jour prenait un peu d’haleine,
Quand sous un voile épais le soleil éclipsé,
S’échappant du nuage, à travers la visière,
Lui darde brusquement un trait vif de lumière.
Ébloui des couleurs dont le mobile éclat
A ses regards errants peint un nouveau combat,
Notre manant s’ébranle en frottant, sa paupière.
Puis, élevant sa bêche au-devant-de ses yeux,
« Avec un peu d’esprit, dit-il, tout glorieux,
On vient à bout de tout. Eh bien, mon camarade,
Je défie à présent, ô bel astre des cieux !
Ta trahison soudaine et ta fière boutade.
Cet étroit rempart, le vois-tu ?
Suffit pour t’offusquer et te faire bravade.
C’est ainsi qu’en ce monde il ne faut qu’un fétu
Pour obscurcir souvent la plus grande vertu. »
Bonamy, maître expert dans l’art hippocratique,
A qui de ses secrets découvrant les trésors
La profonde nature explique
Les fluides, les sels et les obscurs ressorts,
Dont l’ensemble entretient le commerce harmonique
Des humeurs et du sang, et de l’âme et du corps,
De là vient, tu le sais, la scène variée
De nos mœurs, nos penchants et nos aversions,
Scène toujours multipliée
Au gré de nos complétions.
Toi, qui connais enfin combien mon cœur t’estime,
Sur cette fable, ami, porte ton jugement.
Mais n’y pourrions-nous pas joindre ce supplément
Que de ceux nommés Grands, si la splendeur opprime
Ceux qu’appelle Petits la folle vanité,
Ces petits, d’un brocard dans le public jeté,
Et qui de bouche en bouche en passant s’envenime,
Se revanchent souvent de leur haute fierté ?
“Le Soleil et le Manant”