Un Tarin s’était fait l’ami, le compagnon
D’une jeune et belle Serine.
Ils habitaient même maison ;
Avaient tous deux même cuisine ;
Même table : et l’on pense bien
Que leur couchette était la même.
Se brouillaient-ils ? Un mot, une caresse, un rien,
Terminait tout : un rien est beaucoup quand on aime.
Une vilaine Pie, en trottant, caquetant,
Rencontra nos amis. La voilà possédée
Du désir de leur nuire, et la fourbe à l’instant
De les brouiller conçoit l’idée.
Les heureux font toujours quelque peine au méchant.
Le Tarin par malheur frappa sa bonne amie.
La Pie accourt et dit : Quittez ce Tarin-là ;
C’est pour vous maltraiter qu’il vous tient compagnie.
Prenez-y garde, il vous tuera.
Venez-vous établir près de ma maisonnette.
Vous aurez tous les jours bal, musique et festin.
Je possède une serinette
Qui vous fera chanter du soir jusqu’au matin.
L’imbécile la croit, laisse son camarade,
Et bâtit son nid près du sien.
Tout lui sourit d’abord ; jeu, gala, sérénade,
La perfide n’oublia rien ;
Mais sitôt l’aurore, la Pie
Chez le moineau s’en va, le tire à part, et dit :
De vous hier au soir la Serine médit ;
Et même vous traita de méchant et d’impie ;
Mais ne me nommez pas, de grâce. Le moineau
Peu galant, vole à la Serine,
Se venge à coups de bec. Notre adroite voisine
Arrive, et cajole l’oiseau.
Celui-ci pond un œuf de rage ;
Puis va chercher pâture. Aussitôt à son lit
Monte en secret la Pie. Elle casse et ravage
L’œuf encore tout chaud. L’autre revient au nid,
Voit ce trouble en pleurant. C’est le Pinson, ma chère,
Qui vous fit, dit Margot, cet horrible dégât.
Vite au Pinson la pauvre mère
S’adresse en larmoyant, se plaint de l’attentat.
A tort vous me cherchez querelle,
Réplique le Pinson ; ma bonne, veillez mieux.
Recommencez à pondre, et faites sentinelle ;
Vous saurez qui casse vos œufs.
Notre oiseau recueille ce dire,
Retourne à son logis, pond encore une fois,
Puis derrière un rameau doucement se retire,
Retient sou haleine et sa voix,
Et veille. Elle aperçoit la friponne d’Agace
Qui grimpe au nid, regarde autour,
Croit qu’on ne la voit pas, saisit l’œuf, et fracasse
Ce deuxième fruit de l’amour.
La Serine se montre : Ah ! Méchante, dit-elle,
Quoi ! Vous cassez mes œufs ? je vous y prends enfin.
Adieu, je vous quitte, cruelle !
Trompez qui vous voudrez : je vole à mon Tarin.
Il est vif ; mais son cœur n’aime pas les vengeances.
Quels que soient les torts d’un ami,
J’aime encore mieux ses offenses
Que les baisers d’un ennemi.
“Le Tarin, la Serine et la Pie”