Dès la pointe du jour, sortant de son hameau,
Colas, jeune pasteur d’ un assez beau troupeau,
le conduisoit au pâturage.
Sur sa route il trouve un ruisseau
que, la nuit précédente, un effroyable orage
avoit rendu torrent : comment passer cette eau ?
Chien, brebis et berger, tout s’ arrête au rivage.
En faisant un circuit l’ on eût gagné le pont ;
c’ étoit bien le plus sûr, mais c’ étoit le plus long :
Colas veut abréger. D’ abord il considère
qu’ il peut franchir cette rivière ;
et, comme ses béliers sont forts,
il conclut que sans grands efforts
le troupeau sautera. Cela dit, il s’ élance ;
son chien saute après lui ; béliers d’ entrer en danse,
à qui mieux mieux, courage, allons !
Après les béliers, les moutons ;
tout est en l’ air, tout saute, et Colas les excite,
en s’ applaudissant du moyen.
Les béliers, les moutons, sautèrent assez bien :
mais les brebis vinrent ensuite,
les agneaux, les vieillards, les foibles, les peureux,
les mutins, corps toujours nombreux,
qui refusoient le saut ou sautoient de colère,
et, soit foiblesse, soit dépit,
se laissoient choir dans la rivière.
Il s’ en noya le quart ; un autre quart s’ enfuit,
et sous la dent du loup périt.
Colas, réduit à la misere,
s’ apperçut, mais trop tard, que pour un bon pasteur
le plus court n’ est pas le meilleur.
“Le troupeau de Colas”