Non, il n’est rien de ce que nous voyons
Qui ne parle et ne nous instruise.
Tout est matière à nos réflexions ;
Tout évènement moralise.
Sçachons donc réfléchir, méditer, raisonner ;
Sans ce point là l’homme et la bête
Sont même chose : on pourroit les donner
L’un pour l’autre, tête pour tête.
Ne comptons point sur les avis d’autrui :
Ils ne causent souvent que colère ou qu’ennui.
De tout censeur, quel qu’il puisse être,
Le sermon nous est odieux ;
Quand on se parle, on s’écoute bien mieux ;
Pour être bon disciple, il faut être son maître.
Pourquoi cela ? Demande-t-on.
En voici, je croi, la raison.
C’est qu’on ne sent quand un autre nous blâme
Que la honte d’être en son tort :
Sentiment douloureux qui repousse notre âme.
Et qui lui seul épuise son effort.
Mais, quand soi-même on sçait se faire entendre
Que la raison nous doit donner la loi,
On sent l’honneur de se reprendre,
Et le plaisir de ne céder qu’à soi.
Ce qu’un autre nous dit se grave sur le sable ;
Ce que nous nous disons se grave sur l’airain.
Ainsi fut fait l’esprit humain ;
Et vous l’allez voir par ma fable.
Il étoit un tyran, l’horreur de ses vassaux,
Qui se joüa long-tems au gré de son envie,
De leur honneur, de leurs biens, de leur vie.
Guerre, famine, peste, et s’il est d’autres maux,
Tous ensemble eussent moins affligé la province,
Que ne faisoit ce méchant prince.
Il changea pourtant un beau jour.
Le tyran se transforme en prince débonnaire ;
Neron devint Titus, et son peuple eut un père :
Il en étoit l’horreur ; il en devint l’amour.
Un de ses courtisans lui demandant la cause
De cet étrange changement ;
Tout étrange qu’il est, dit le roi, peu de chose
L’a produit en un seul moment.
Un jour que j’étois à la chasse,
J’apperçus un renard, qui de gayeté de cœur
Étrangloit un poulet qui lui demandoit grâce :
Soudain accourt un loup d’aussi mauvaise humeur,
Qui vous met le renard en quartiers sur la place.
Je vois un tigre au même-tems,
Qui sur le loup assouvissant sa rage
Vous le déchire à belles dents ;
Et le tigre après ce carnage,
Alla tomber plus loin sous les traits de mes gens.
Je m’avisai de trouver là l’image
De mes tyranniques penchans ;
Et je me rappellai cette vengeance sage,
Qui garde en ses trésors un salaire aux méchans.
Le bien ou le mal se moissonne,
Selon qu’on seme ou le mal ou le bien.
Cette réflexion fit naître en moins de rien
Tout le changement qui t’étonne.
Sans qu’il en voulût être instruit,
On l’avoit mille fois étourdi de ce thème ;
Mais la leçon porta son fruit,
Dès qu’il se la donna lui-même.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Le Tyran devenu Bon.