Sur la rive d’un bois, au penchant d’un coteau,
Sous la garde d’un chien fidèle,
Paissait un paisible troupeau,
Broutant le serpolet, l’herbe tendre et nouvelle.
Du fond du bois un loup glouton
Sentit cet odeur de mouton,
Qui fit briller son œil et claquer sa mâchoire.
Il hume ce parfum, se glisse en tapinois.
Sans cependant sortir du bois ;
Il craignait, c’est facile à croire.
A la fois les chiens et les gens :
Coups de fusil et coups de dents
Le poursuivraient pour peu qu’il se fit reconnaître.
Il jugea donc prudent de ne pas se montrer.
Caché par les branches d’un hêtre,
Sans qu’on le vit, il put considérer
Tout à loisir dans la plaine étendue
Le troupeau, le chien, le berger :
Le tendre agneau surtout et la brebis dodue
Flattaient infiniment sa vue.
En prendre un, l’emporter, n’était pas sans danger;
Et puis, celui-là pris, c’était affaire faite,
Sans espérance de retour;
Il ne pourrait recommencer la fête;
Il avait appétit pourtant pour plus d’un jour.
Il rumine et cherche en sa tête
Pour y trouver quelque bon tour.
Il se pose sur le derrière,
Adoucit son regard, abaisse sa paupière,
Et dit de sa plus douce voix
A l’agneau le plus près du bois :
— Vous faites, mon enfant, une bien pauvre chère;
Vous n’avez là qu’une herbe amère
Que le soleil durcit, que dessèche le vent.
Entrez dans ce taillis; sans aller bien avant,
Vous trouverez sous la coudrette
Une herbe qui sent la noisette,
Les bourgeons les plus délicats.
— Nos gardiens ne le veulent pas. —
Dit l’animal bêlant. — Vous irez en cachette ;
Vos gardiens, qui dorment là-bas,
N’en sauront rien; venez, suivez mes pas. —
L’agneau le suit, il en fait son repas ;
Le lendemain il fait d’un second sa pitance;
Un troisième, d’autres encor
Les jours suivants eurent le môme sort.
Je tire de ceci la double conséquence,
Que n’ayant pas d’expérience,
La jeunesse a grandement tort
De vouloir se soustraire à toute surveillance;
Et de nos ennemis que le plus dangereux,
Est celui dont le ton est le plus doucereux.
“Le troupeau et le Loup”