Du haut d’un noir rocher, dans les airs, sur la terre,
Le Roi Vautour semait la terreur de son nom :
De toutes parts à l’environ
Mille débris sanglants conduisaient à son aire.
De ce palais voisin des cieux,
L’éclair pénétrant de ses yeux
Lui découvrit, au fond d’un vallon solitaire,
Un Cygne méditant des chants mélodieux.
C’était un des Cygnes fameux
Qui par leurs sons divins savaient charmer l’oreille,
Tels que ceux dont j’ai vu nos Savants curieux
Aller à Chantilly constater la merveille.
Le Vautour étant de loisir,
Ce Cygne est là, dit-il, exprès pour mon plaisir;
Allons. Disant ces mots, du sommet de sa roche
Il fond, la serre ouverte. A son horrible approche,
Le pauvre Cygne se tapit,
Tremblant de tout son corps, et dit:
Vous, Seigneur, m’attaquer! Nul ne voudra le croire;
Moi qui n’ai rien que mon talent,
Ma plume brillante et mon chant!
Moi pauvre et faible Oiseau ! Si facile victoire,
Après tant de hauts faits, ternira votre gloire.
Ma gloire est dans mes grands exploits,
Répond le Vautour en colère :
Là, s’exercent mon aile, et mon bec, et ma serre :
Ici , ce n’est qu’un jeu : le jeu m’est nécessaire ;
Meurs. Ni ta plume ni ta voix
A mes pareils n’importent guère.
Pour nous il est tant d’autres soins !
Il est tant de Cygnes sur terre !
Je voudrais bien savoir ce qu’au monde peut faire
Un Cygne de plus ou de moins.
“Le Vautour et le Cygne”