Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort
Commentaires et analyses : Le Vieillard et les trois jeunes Hommes par Chamfort . 1796.
- Le Vieillard et les trois jeunes Hommes.
Cette fable n’a pas la perfection qu’on admire dans plusieurs autres, si on la considère comme apologue. On peut dire même que ce n’en est pas un, puisqu’un apologue doit offrir une action passée entre des animaux, qui rappelle aux hommes l’idée d’une vérité morale, revêtue du voile de l’allégorie. Ici la vérité se montre sans voile : c’est là chose même et non pas une narration allégorique. Mais si on considère cette fable simplement comme une pièce de vers, elle est charmante et aussi parfaite pour l’exécution, qu’aucun autre ouvrage sorti des mains de La Fontaine. Examinons-la en détail.
V. .3. Passe encor de bâtir; mais planter a cet Age ! Ce vers est devenu proverbe; et on le le souvent à l’occasion de ceux qui se sont mis dans le même cas. Le discours des jeunes gens est assez raisonnable, mais il y a un mot qui ne convient qu’à des étourdis, c’est celui du vers 4 :
Assurément il radotait.
On verra pourquoi La Fontaine leur prête ce propos assez, impertinent.
V. 11. Quittez le long espoir et les vastes pensées. Quelle force de sens et quelle précision!
V. 12. Tout cela ne convient qu’à nous. Mot important. Voilà le sentiment qui les fait parler. La réponse du vieillard est admirable et cause une sorte de surprise. Le lecteur trouvait, comme ces jeunes gens, que ce vieillard est assez peu sensé. Le premier mot de sa réplique.
V. 13. Il ne convient pas a vous-mêmes, . .
Cinq ou six vers après, on voit que c’est un sage très-agréable.
V. 21. Mes arrière-neveux me devront cet ombrage:
Hé bien, défendez-vous au sage
De se donner des soins pour le plaisir d’autrui?
La jouissance des autres est la sienne.
V. 24.. Cela même est un fruit que je goûte aujourd’hui: Quel mélange de sentiment et de véritable philosophie!
V.26. Je puis enfin compter l’aurore
Plus d’une fois sur vos tombeaux.
A la vérité, ce mot est un peu dur ; mais il l’est beaucoup moins que le propos de ces jeunes gens: Assurément il radotait. J’avoue que je voudrais que le vieillard eût encore été plus doux et plus aimable , qu’il eut dit avec encore plus de bonté:
Et même avec regret je puis compter l’aurore ,
Plus d’une fois sur vos tombeaux.
Vient ensuite le récit très-rapide de la mort des trois jeunes gens; mais ce qui est parfait, ce qui ajoute à l’intérêt qu’on prend à ce vieillard et à la force de la leçon , ce sont les deux derniers vers:
Et pleurés du vieillard , il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.
Il les pleure, il s’occupe du soin d’honorer leur mémoire, il leur élève un cénotaphe: ce qui suppose un intérêt tendre, car enfin leurs corps étaient dispersés. Et La Fontaine! voyez comme il s’efface , comme il est oublié comme il a disparu ! Il n’est pour rien dans tout ceci. II n’est point l’auteur de cette fable ; l’honneur ne lui en est pas dû; il n’a fait que la copier d’après le marbre sur lequel le vieillard l’avait gravée. On dirait que La Fontaine, déjà vieux et attendri par le rapport qu’il a lui-même avec le vieillard de sa fable , se plaise à le rendre intéressant , et à lui prêter le charme de la douce philosophie , et des sentiments affectueux avec lesquels lui-même se consolait de sa propre vieillesse. “Le Vieillard et les trois jeunes Hommes”