Commentaires et étude : Le Vieillard et les trois jeunes Hommes de MNS Guillon .1803.
- la fable : Le Vieillard et les trois jeunes Hommes.
(1) Un octogénaire, etc. M. l’abbé Batteux a fait sur cette fable un commentaire dont nous conservons ici les traits principaux. Qu’on cherche ailleurs, dit l’estimable Académicien, des débuts plus simples , plus nets, plus riches, d’un ton plus piquant :
Passe encor de bâtir; mais planter a cet âge !
Vers devenu proverbe.
(2) Disaient trois jouvenceaux. Dans Abstemius , il n’y en a qu’un. On sent combien trois jeunes gens, au lieu d’un seul, opposes au vieillard, qui leur survit à tous, multiplient l’intérêt. Assurément il radotait ; Ici l’étourderie, l’impertinence de ce propos feront bien mieux ressortir la réponse du vieillard.
(3) Au nom des Dieux, etc. Affectueux. Je vous prie est familier. Labeur, très poétique : qu’on mette travail à la place. Patriarche : tout cela est d’une familiarité qui sent son protecteur.
(4) A quoi bon charger votre vie, etc. Comme si à cet âge, la vie n’était point déjà un fardeau assez pesant, sans la charger encore !
(5) Ne songez désormais qu’à vos erreurs passées. Le caractère de jeune homme est peint dans ce discours. Le fonds en est désobligeant ; le conseil est un reproche amer ; ils le jugent d’après eux mêmes.
(6) Quittez le long espoir et les vastes pensées. Votre vie doit être si courte! —Admirez l’harmonie initiative de ce vers; en même temps quelle force de pensées et quelle précision ! Tout cela ne convient qu’à nous-, tient de l’orgueil du Chine dans la fable de ce nom.
(7) Il ne convient pas à vous-mêmes. Le vrai ton de la nature ; simple , mais avec autorité, sans pedantisme : comment se fâcheraient-ils fâcheraient – ils d’une expression qu eux – mêmes viennent de prononcer ?
(8) Tout établissement, etc. Cette maxime très-belle, très-importante, est placée, on ne peut mieux, dans la bouche d’un vieillard d’une expérience consommée.
(9) La main des Parques blêmes. C’est le pallida mors d’Horace. Le poète a imité le reste de la pensée de l’auteur latin; mais en la rajeunissant par un tout nouveau.
(10) Est-il aucun moment, etc. Raisonnement plein de philosophie. On voit avec truelle force il est rendu, et quel est l’effet du mot seulement, placé au bout du rers. C’est une pensée de Sénèque le tragique dans son Thyeste.
(11) Mes arrière-neveux, etc. Il n’est rien de plus noble que ce sentiment, Si nos pères n’avaient travaillé que pour eux, de quoi jouirions-nous?
(12) Cela même est un fruit que je goûte aujourd’hui. Quel mélange de sentiment et de véritable philosophie! (Champfort.) Le poète Racan met au nombre des plaisirs restes au vieillard , celui de voir avec lui Vieillir les bois qu’il a plantés. Et quand il ne les verrait point vieillir, il y a quelque douceur à les planter pour ses petits enfants, pour la seule postérité. Serit arbores quat alteri saecuto prosint. Cette noble jouissance a été bien sentie par l’auteur de ces vers :
Des biens près d’échapper ont-ils quelques appas?
Mes enfants après moi n’en jouiront-ils pas ?
(Berenger, Fable du Villageois philosophe dans Fabl. franç. L. III. f. 7. )
(13) Je puis enfin compter l’Aurore. Ce tour poétique donne un air gracieux a une pensée très-triste par elle-même ; le sentiment qu’il exprime est d’ailleurs conforme au caractère de cet âge ; il n’est pas un vieillard, quelque avancé qu’on le suppose , dit Cicéron , qui ne se flatte de l’espérance de vivre encore une année.
(14) Et pleurés du vieillard, il grava sur leur tombe. Le caractère du vieillard se soutient jusqu’au bout. Son langage respirait l’indulgence et la bonté; ses actions ne le démentent pas. Il recueille les restes dispersés des infortunés jeunes gens. Quoiqu’ils eussent parlé avec peu de respect ; il a tout pardonné à la vivacité de leur âge ; il gémit de les voir sitôt moissonnés. Il leur élève un monument funèbre; il grave de sa main l’inscription du monument; il les pleure! La Fontaine touchait à la vieillesse quand il composa ce bel apologue. Ou dirait qu’il a voulu se peindre lui-même. Il n’y a rien de médiocre dans cette pièce. La pureté du style est égale a l’intérêt de l’action, à la gravite du sujet. Un critique sévère relèvera sans doute le défaut de correspondance grammaticale dans le nominatif du verbe, grava sur leur tombe avec le pluriel pleurés du vieillard: l’observation ne serait pas sans justesse ; mais peut-être que la poésie de La Fontaine serait moins admirable, si elle était plus travaillée; et cette molle négligence a dit M. Freron, décelé le grand maître et l’écrivain original.