Un scélérat un jour trouvant sa belle,
Ayant guêté longtems sur l’autel d’Apollon,
Coupes et vases d’or, de la sainte vaisselle,
S’avisa de se faire un don :
Prenons ceci, dit-il, nous en battrons monnoie ;
Le dieu s’en passera plus aisément que moi ;
Je suis pauvre, il est riche ; il vit la haut en roi,
Tandis qu’ici j’ai disette de joie ;
Il faut m’en acheter, et voici bien de quoi.
Aurois-je peur qu’il ne chômât d’offrande ?
Il demeuble l’autel en raisonnant ainsi :
Puis ; s’échappe disant, seigneur Dieu, gram-merci :
Vous êtes bon, que le ciel vous le rende.
Chargé de ce butin nouveau,
Le voleur fuit, gagne la plaine,
Courant toûjours, tant que sous le fardeau,
Il succombe, s’arrête, et pour reprendre haleine,
S’endort au pied d’un mur, reste d’un vieux château.
Apollon lui paroît en songe ;
Au plus pressant péril je viens te dérober ;
Reveille-toi, fuis, ce n’est point mensonge ;
Fuis vîte, ce mur va tomber.
Le voleur s’éveillant quitte aussi-tôt la place ;
C’est le plus sûr, tel se mocque des dieux,
Qu’on voit à la moindre menace
Devenir superstitieux.
Le mur tombe pourtant. ô la bonne fortune !
Dit le larron, j’étois du moins estropié.
Voilà mon vol ratifié !
Les dieux sont bonnes gens, ils n’ont point de rancune.
Avec ces beaux pensers, poursuivant son chemin,
Il alloit traverser une forêt obscure.
Échappe encor à ton destin,
Lui dit la voix du songe, ici ta mort est sûre.
Si tu passes dans la forêt,
Un essain de voleurs épiant la capture
À t’assassiner est tout prêt.
Le mur tombé, cautionoit l’augure.
Le larron passe ailleurs en maudissant vingt fois
Ces barbares tyrans des bois,
Qui sans humanité, sans aucune justice,
Font litiére du bien d’autrui.
Les gens sont bien méchans ! Comme va la police !
On ne sçauroit voyager aujourd’hui :
La police pourtant fut trop bonne pour lui.
Des archers le cherchoient et ces détours le mènent
Tomber tout droit entre leurs mains.
Ils vous le garotent, l’entraînent ;
Il étoit tout jugé, saisi des vases saints ;
Son supplice expia le larcin sacrilége.
Ainsi la clémence des dieux,
Pour l’impie obstiné, n’est bien souvent qu’un piège.
S’ils sauvent un méchant, c’est pour le perdre mieux.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Le Voleur et Apollon.