Un enfant de Paris, tout fier de son berceau,
Mais à courir le monde occupant son jeune âge,
Avant de se mettre en voyage,
Avait réglé sa montre au cadran du château.
C’était un chef-d’œuvre impayable,
Un mouvement à nul autre pareil,
Qui, dans sa marche invariable,
Aurait défié le soleil.
Dans Bruxelles d’abord mon jeune homme s’arrête.
Grâce aux lettres qu’il porte, on l’accueille, on le fête,
On l’invite de toute part;
Mais, à chaque dîner, rendez-vous ou rencontre,
En prenant l’heure de sa montre,
Il arrive toujours trop tard,
Donnant pour excuse éternelle
Qu’il doit s’en rapporter à son bijou modèle,
Que les horloges du pays
Ont tort d’avancer sur Paris.
A Londres, c’est une autre chance :
Les cadrans retardaient, il arrivait trop tôt,
Et, s’en excusant comme un sot,
De sa montre toujours il vantait l’excellence.
« Monsieur, lui dit un vieux marin,
Sur le globe avant vous j’ai bien fait du chemin.
J’ai vu bien des pays, bien des mœurs en ma vie;
Mais, sans prétendre y rien changer,
Pour bien vivre avec l’étranger,
J’ai tâché d’oublier les mœurs de ma patrie.
Vous avez, dites-vous, un instrument parfait :
Je vous en félicite et ne vais à rencontre;
Mais sachez que toujours il faut régler sa montre
Sur les cadrans du pays où l’on est. »
“Le Voyageur et sa Montre”