Mon père, apprenez-moi ce qu’il faut que j’invente
Pour soulever sans trop d’effort
Cet énorme fardeau dont le poids m’épouvante!
N’est-il donc pas un moyen d’être fort?
— Ce moyen, mon enfant, tu le sauras peut-être;
C’est un secret qu’un jour je te ferai connaître.
Mais aujourd’hui l’heure n’a pas sonné.
En attendant, prends ce chien nouveau-né,
Et, jusqu’au bourg voisin dont tu connais la route,
Sans ralentir ou sans presser le pas,
Porte-le dans tes petits bras.
Cette charge n’est pas trop pesante sans doute?
— Non, certes; mais pourquoi, tout le long du chemin,
M’embarrasser d’un chien dont je n’ai point affaire?
— Obéis-moi d’abord, et tu verras demain,
Mon bon ami, ce qu’il faut faire.»
Le lendemain rien n’est changé,
Car il est encore exigé
Que le marmot, coûte que coûte,
Chemine sur la même route,
Avec le même chien mêmement dans ses bras,
Et puis les jours suivants, au chaud, à la froidure,
C’est toujours la même aventure;
Et vainement l’enfant murmure ;
Le père ne plaisante pas.
Pendant huit mois entiers chaque jour cela dure.
Cela dure tant et si bien .
Que notre nouveau-né n’est plus un petit chien,
Mais un dogue imposant, de puissante stature,
Et l’enfant le portait, sans qu’il y parût rien.
La charge aux premiers jours aurait été trop rude,
Mais le père savait le prix de l’habitude.
C’est l’art de vaincre sans effort,
De mener sans péril le navire à bon port,
C’est la vertu! c’est le courage!
Celui qui sait en faire usage
Pour dompter les penchants mauvais,
Se donne alors à peu de frais
L’âme d’un héros et d’un sage.
” L’Enfant et le Petit Chien”