Pierre Doré
Fabuliste XIXº – L’Enfant et Miroir
Certain enfant épris de sa figure,
Ne trouvait rien dans toute la nature,
Qui pour ses yeux fût plus charmant à voir ;
Aussi le portait-il à toute heure au miroir ;
Mais tout-à-coup sur lui fond cette maladie
Qui sur l’enfance exerce sa furie,
Et du visage le plus beau
Laboure affreusement la peau.
Bientôt la sienne entièrement difforme,
Ne retient presque rien de sa première forme :
Quelqu’un alors vient offrir à ses yeux
Ce miroir autrefois pour lui si gracieux ;
Mais au premier coup d’œil, il détourne sa vue ;
Otez, ôtez, dit-il, cet objet qui me tue,
Le traître ! le menteur ! non, non, ce n’est pas moi,
C’est un monstre que j’aperçois.
Il saisit de sa main la trop sincère glace,
Il la jette à ses pieds, en morceaux il la casse.
Pour l’avoir montré tel qu’il est,
De sa haine à l’instant elle devient l’objet.
Ainsi la vérité nous offense et nous blesse,
Elle déplaît surtout aux vicieux.
Pour l’étouffer, on s’efforce, on s’empresse,
On la poursuit comme un monstre odieux,
Mais elle est pour qui l’aime, un trésor précieux.
Pierre Doré