La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Loup solitaire se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un troupeau d’Agneaux vint, qui cherchait la verdure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
– Qui te rend si hardi de troubler notre herbage ?
Bêlent ces animaux sans courage.
– Sires, répond le Loup (qui a le ventre plein
Et ne se soucie pas de croquer cent ovins)
Ne vous mettez pas en colère ;
Mais que vos Ovidés considèrent
Que je ne puis troubler votre casse-croute :
Je ne mange pas l’herbe qu’Ils broutent.
– Tu nous troubles, reprirent les Moutons,
Mais pas de querelle : vois plutôt,
Notre laine est trop épaisse pour tes crocs ;
Réglons cet embarras par la démocratie
Sans violence, votons, votons, votons
Le scrutin nous dira qui doit rester ici.
Ta voix vaut autant que la moindre des nôtres,
Celui dont la motion est en minorité
Serait-il Bienheureux, Saint, Martyr ou Apôtre,
Sera châtié de sa témérité.
Le Loup acquiesce, curieux de nouveauté.
Les bergers et les chiens sont nommés assesseurs
Pour cette fois ils sont donc confrères.
Bêtes à laine, cent voix ; Loup, un seul bulletin :
Point de doute sur le scrutin,
Sans second tour ni ballotage.
C’est ainsi qu’au sortir de l’isoloir
Le Loup s’enfuit sans au revoir,
Ni autre forme de suffrage.
« Les Agneaux et le Loup – rôles inversés »
Comparer avec la fable de La Fontaine :
La raison du plus fort est toujours la meilleure 1:
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient 2 à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage 3:
Tu seras châtié de ta témérité.
– Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
– Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
– Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
– Je n’en ai point. – C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.