Clodomir-Joseph Rouzé
Auteur de manuels scolaires, analyses des fables – Le Loup et l’Agneau
Le Loup et l’Agneau, analyse littéraire et commentaires par Clodomir Rouzé
Quelques critiques ont pensé qu’en écrivant ce vers ( Le Loup et l’Agneau)
La raison du plus fort est toujours la meilleure
la Fontaine s’est tout simplement proposé de démontrer que le plus fort finit toujours par avoir raison, grâce aux solides arguments dont il dispose.
A notre avis, la Fontaine n’aurait pas fait une fable pour prouver que le plus fort triomphe toujours du plus faible. Cela va de soi, sans démonstration.
Lorsque Prométhée, enchaîné sur le rocher du Caucase, annonce à Jupiter la prochaine décadence de son Olympe le dieu irrité saisit son arme terrible. Prométhée lui crie alors : « Tu prends ta foudre, Jupiter, donc tu as tort ! » En effet, celui qui a recours à la force, montre par cela même qu’il n’a pas pour lui le droit ; et c’est précisément ce que la Fontaine a voulu exposer en disant, sons une forme ironique, que la raison du plus fort est toujours la meilleure. Aussi, dans la fable tout entière, il s’attache à mettre dans la bouche du loup les raisons les plus pitoyables, les plus mauvaises, tandis que l’agneau oppose aux accusations du loup les raisons les plus péremptoires.
Cette intention ironique est surtout manifeste dans le second vers :
Nous l’allons montrer tout à l’heure,
où tout à l’heure est pris dans son vrai sens : immédiatement, sur-le-champ.
Un agneau se désaltéroit
Dans le courant d’une onde pure.
Remarquez ce mot onde, une des rares expressions qui soient du domaine propre de la poésie.
Un loup survient à jeun…
Cette arrivée inopinée d’un loup, et surtout d’un loup à jeun, fait trembler pour l’agneau.
L’effroi redouble encore quand on lit qui cherchait aventure,
c’est-à-dire une bonne occasion d’assouvir sa gloutonnerie,
Et que la faim en ces lieux attiroit.
Le début de la conversation est digne du personnage.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage;
Tu seras châtié de la témérité.
Voilà la force brutale qui s’annonce; mais elle a mal calculé; l’accusation ne repose sur rien! Phèdre,-le prédécesseur de la Fontaine, avait dit tout d’abord : « le loup était plus près de la source; l’agneau était beaucoup plus bas. » …
La Fontaine met dans la bouche de l’agneau ces indications qui font mieux ressortir l’injustice du loup.
Sire, répond l’agneau, que Votre Majesté
Ne se mette point en colère;
Est-il possible de se montrer plus humble que l’agneau? Il traite le loup de Majesté; il lui parle comme s’il était le lion, roi des animaux; il s’excuse d’user lui opposer une objection irréfutable.
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant
Plus de vingt pas au-dessous d’elle,
Et que, par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
L’argument est sans réplique. Aussi, comment le loup répond-il ? avec brutalité.
Tu la troubles! reprit celle bête cruelle;
Mais il sent bien qu’il a tort, et que la raison du plus fort n’est point « beaucoup près la meilleure. Il cherche donc un autre grief.
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
Malheureusement, celte raison est encore plus mauvaise, s’il est possible, que la précédente :
Comment l’aurois-je fait si je n’étois pas né?
Reprit l’agneau; je tette encor ma mère.
Que répondre à cette justification?
Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !
ajoute le loup, toujours en quête d’une raison qui lui permette de dévorer l’agneau avec quelque semblant de justice.
— Hélas ! Il se trompe encore !
Je n’en ai point!
Exaspéré par ces méprises successives, furieux d’être toujours pris en défaut et de ne trouver aucune bonne raison, le loup continue, sans permettre à l’agneau de répondre :
– C’est donc quelqu’un des tiens;
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
Comme si les bergers, les chiens et les moutons avaient pour devoir de se laisser dévorer par le loup ! Mais voici la plus mauvaise raison, celle par laquelle les gens de mauvaise foi et à court de bons arguments, terminent leurs contestations :
On me l’a dit !
Qui l’a dit? — ON, c’est-à-dire, tout le monde ou personne.
Il faut que je me venge.
Voilà ce qu’il voulait; il ne cache plus son intention, et pourtant il veut encore faire passer sa vengeance pour légitime. Mais personne n’en est dupe.
Là-dessus, sans permettre à l’agneau de lui adresser encore une de ces répliques qui l’avaient déjà confondu,
… au fond des forêts,
le crime a besoin du mystère de la solitude, il craint le grand jour.
Le loup l’emporte et puis le mange
Sans autre forme de procès.
C’est-à-dire, sans plus de formalités, sans examiner plus longtemps s’il était innocent ou coupable, et terminant brusquement l’espèce de procès qu’il faisait h. l’agneau pour lui prouver qu’il méritait la mort.
Le peuple a aussi son ironie, non moins sanglante que le premier vers de cette fable. Quand il est témoin de quelque violence, de quelque oppression tyrannique, il s’écrie, dans son langage naïf :
C’est le lapin qui a commencé!
“Loup et l’Agneau analysé”