Il étoit quatre amis qu’ assortit la fortune ;
gens de goût et d’ esprit divers.
L’ un étoit pour la blonde, et l’ autre pour la brune ;
un autre aimoit la prose, et celui-là les vers.
L’ un prenoit-il l’ endroit ? L’ autre prenoit l’ envers.
Comme toûjours quelque dispute
assaisonnoit leur entretien,
un jour on s’ échauffa si bien,
que l’ entretien devint presque une lutte.
Les poumons l’ emportoient ; raison n’ y faisoit rien.
Messieurs, dit l’ un d’ eux, quand on s’ aime,
qu’ il seroit doux d’ avoir même goût, mêmes yeux !
Si nous sentions, si nous pensions de même,
nous nous aimons beaucoup, nous nous aimerions mieux.
Chacun étourdiment fut d’ avis du problême,
et l’ on se proposa d’ aller prier les dieux
de faire en eux ce changement extrême.
Ils vont au temple d’ Apollon
présenter leur humble requête ;
et le dieu sur le champ, dit-on,
des quatre ne fit qu’ une tête :
c’ est-à-dire, qu’ il leur donna
sentimens tout pareils et pareilles pensées ;
l’ un comme l’ autre raisonna.
Bon, dirent-ils, voilà les disputes chassées
oui, mais aussi voilà tout charme évanouï ;
plus d’ entretien qui les amuse.
Si quelqu’ un parle, ils répondent tous, oüi.
C’ est désormais entr’ eux le seul mot dont on use.
L’ ennui vint : l’ amitié s’ en sentit altérer.
Pour être trop d’ accord nos gens se désunissent.
Ils cherchent enfin, n’ y pouvant plus durer,
des amis qui les contredissent.
C’ est un grand agrément que la diversité.
Nous sommes bien comme nous sommes.
Donnez le même esprit aux hommes ;
vous ôtez tout le sel de la société.
L’ ennui nâquit un jour de l’ uniformité.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Les amis trop d’accord .