Sur les traces d’un cerf dans la plaine lancée,
Détalait en jappant une meute exercée.
Les sons bruyants du cor excitaient son ardeur,
Et d’une curée abondante
Flattant cette meute aboyante,
La voix perçante du piqueur.
Par maint éloge et par mainte promesse,
Des chiens impatients redoublait la vitesse :
« Bravo, Rougeot ! bravo. Tayaut !
A toi, Diane ! à toi, Gerfaut !
Le cerf est aux abois; courage ! il faut le prendre ;
Pousse, Carlin ! pousse, Pataud!
Vous en aurez; il râle, il est près de se rendre.
Et les braves chiens de courir,
Et le pauvre cerf de frémir.
Bref, la mente triomphe et la bête est forcée.
Sur le gazon sanglant la voilà terrassée ;
Et soudain les heureux limiers,
Sur la foi du piqueur attaquant cette proie,
Fondent, en glapissant et trépignant de joie,
Sur son échine et ses quartiers.
Mais, le fouet à la main, le piqueur se présente.
« Tout beau, coquins! arrêtez, attendez !
Crie alors sa voix menaçante;
Et sur les chiens affriandés
Frappe à coups redoublés sa lanière sifflante.
Les conquérants du cerf n’en auront un morceau
Qu’après les longs ennuis d’une pénible attente.
Ils se hâtent de fuir le fouet de leur bourreau,
Et, contemplant de loin leur victime expirante,
Le dos blessé, la gueule haletante,
Tirent la langue ou lèchent leur museau.
L’un des chiens, dont la patte, en ce combat meurtrie
A peine soutenait sa fuite appesantie,
En clopinant vint se réfugier
Sous la jambe de bois d’un pauvre grenadier,
Qui, par hasard, témoin de cette scène,
Se reposait au pied d’un chêne :
« Viens, mon pauvre Tayaut, lui dit le vieux soldat;
Nous avons l’ait tous deux un métier fort ingrat.
On nous promet beaucoup, lorsque sous la mitraille
Il faut charger les ennemis.
J’ai laissé comme toi ma patte à la bataille,
Et l’on n’a point tenu ce qu’on m’avait promis.
La chasse a ses piqueurs, la guerre a ses commis.
Le gain n’est pas toujours pour celui qui travaille .
“Les Chiens et le vieux Soldat”
- Jean-Pons-Guillaume Viennet 1777 – 1868