Gérard Sansey
Poète et fabuliste contemporain – Les critiques et le damier
Dans un local bâti pour de nombreux usages,
Un peintre au goût du jour exposait ses tableaux
Qu’on eût pu croire peints au moyen de rouleaux,
Attirant un public aux multiples visages.
Des critiques divers commentaient largement
Les œuvres de l’artiste sans ménagement.
Une toile, pourtant, paraissait étrangère
A l’ensemble exposé de par son caractère:
Même sans réfléchir, on voyait un damier.
Les carreaux, limités par des lignes précises,
S’opposaient nettement aux formes indécises
Qui semblaient dominer le travail tout entier.
Ce damier, l’on s’en doute, attira nos critiques.
Deux d’entre eux, qui passaient pour être méthodiques,
L’observèrent beaucoup, écrivirent longtemps.
La prose du premier n’était que compliments:
Le blanc l’émerveillait. Ses mots pour le décrire,
Choisis soigneusement, avaient tout pour séduire
Un lecteur qui n’eût point connu l’original.
Le second, quant à lui tout aussi partial,
Venait s’en prendre au noir d’une plume guerrière
Jetant le discrédit sur l’œuvre toute entière.
Le choix de mon damier n’était pas innocent:
Noirs, blancs, les carrés sont en nombre équivalent.
Négliger un aspect pour parler de l’inverse,
C’est juger faussement, de manière perverse.
Jamais rien ici-bas n’est aussi bien rangé.
Gardons nous d’un avis qui serait trop tranché:
De deux observateurs témoins d’une nouvelle,
Chargés d’en rapporter une image fidèle,
L’un ne voit que le bien et l’autre que le mal.
Le bon sens à tous deux, donnera tort égal.
Gérard Sansey